Alexis Favre a annoncé mercredi 14 août qu’il quittait X (ex-Twitter). Le lendemain, il fermait son compte. Le producteur-présentateur d’Infrarouge, l’émission de débat de la RTS, dit en avoir assez de cette «bouillie». Dans une interview à watson parue ce vendredi, il s’explique plus longuement sur les raisons de son claquage de porte.
Comment lui donner tort? X est effectivement devenu un lieu «glauque», où les insultes prolifèrent. Elon Musk, le nouveau patron depuis 2022, veut un X à son image, où la liberté de parole serait totale, entendez, antisystème, très Mars, bien peu Vénus. On voit sur X des choses dont on doute qu’elles auraient eu droit de cité avant que le milliardaire mégalo en prenne le contrôle: des threads sur des exécutions célèbres, sur des lynchages. Le tout à la portée des enfants. C’est abject. Glauque, c’est le mot. On a envie de fuir cette maison des horreurs.
Pourtant, il faut rester. C’est le droit le plus strict d’Alexis Favre d’en partir, mais, selon moi, il a tort. Pour plusieurs raisons. D’abord, on ne découvre pas X. Ce réseau créé en 2006 n’a pas attendu Elon Musk pour verser dans la haine et le harcèlement en ligne. Ensuite, Elon Musk et son nouvel ami Donald Trump, ne sont pas les seuls blâmables dans l'affaire. A côté de la droite brutale et bigote, suprémaciste et raciste à l’occasion, copine avec les antivax et complotistes de tout poil, on trouve une gauche radicale islamiste, antisémite, néoféministe, woke, tout cela à la fois ou séparément. Son intolérance n’est plus à démontrer. Bigote à sa façon, elle excommunie à tour de bras.
Rien, dans cette description, ne plaide pour le maintien sur X. Mais on reste. On reste parce que la bataille des idées qui s’y déroule est riche d’enseignements sur le monde tel qu’il va. Par ailleurs, de nombreux modérés demeurent actifs sur ce réseau.
Je ne suis donc pas d’accord avec Alexis Favre lorsque, prenant la France pour exemple, il affirme que Twitter/X est un «thermomètre trompeur», qui «n’indique plus la bonne température». Certes, la France n’est pas en «guerre civile». Elle s’est réfugiée avec bonheur dans les Jeux olympiques, fuyant les oiseaux de mauvais augure.
Mais la vérité d’un jour n’est pas la vérité d’hier ni celle de demain. Avec le mouvement des «gilets jaunes», en 2018 et 2019, la France n’est pas passée loin d’une confrontation civile d’ampleur. Les peuples sont versatiles. Voyez l’Angleterre, où une insurrection de nature raciste, surgie d’un océan de politiquement correct, est en train d’être mâtée par le gouvernement, qui a saisi tout le danger de ce moment.
Voyez encore, ce printemps en Suisse, les occupations d’universités, en soutien aux Palestiniens. Elles ont été tout sauf des instants de dialogue, tout sauf la recherche de solutions communes. Leur radicalité avait à voir avec ce qui se dit de plus militant sur les réseaux sociaux, sur X en particulier. On peut au passage regretter qu’Infrarouge, occupé par les objets de votation du 9 juin, n’ait pas consacré une seule émission à ce Mai 68 de 2024.
La tentation est là, en Suisse romande, de fuir une réalité anxiogène au prétexte qu’elle ne serait pas vraiment «suisse». C’est bien sûr une illusion. Rien de ce qui agite le monde des idées n’épargne la Suisse. Il suffit de se reporter à l'activisme de la jeune droite nationaliste, comme à celui de son pendant à gauche. C'est cinglant, et l'Université, champ de la production intellectuelle, est vue comme une place à conquérir.
La RTS a jugé bon de fermer le compte «RTS Info» qu’elle avait sur X et qui lui valait parfois des attaques, car on pouvait de temps à autre y déceler des biais idéologiques, plutôt de gauche, absents ou très légers sur le compte «RTS» qu’elle a maintenu. Nonobstant les insultes et les reproches de mauvaise foi, il est bon que le service public accepte de s’exposer à la critique, sur X en l’occurrence. La politique de la chaise vide n'est pas judicieuse en l'espèce.
Il arrivera peut-être un jour où Elon Musk aura tant vampirisé son réseau qu’il n’en restera plus rien, sinon un ramassis de zombies, comme dans les films de genre. On n’y est pas encore.