En Valais, cet homme est connu comme le loup blanc, du moins dans certains cercles. Depuis quelques années, il est membre du «Türkenbund». Cette clique de carnaval de Brigue, fondée en 1903, rassemble une grande partie des personnalités importantes de la région (et on aime y boire des coups). Le conseiller d'Etat UDC, Franz Ruppen, en fait partie, tout comme le conseiller national et chef du groupe parlementaire du Centre Philipp Matthias Bregy. C'est un mélange de «clique de carnaval et de club de service», analyse l'un d'eux. Pourquoi on vous parle de tout cela? Vous allez voir.
Au sein de ce groupe d'amis figure également un ancien cadre de Ruag, qui serait visé par une enquête du parquet de Verden, en Allemagne. L'affaire concerne la vente de vieux chars Leopard en provenance d'Italie, pour laquelle des anomalies auraient été relevées. C'était jusqu'à maintenant le dernier rebondissement dans cette affaire.
Plus précisément, en novembre 2019, deux transmissions de chars auraient été vendues par le biais d'une entreprise allemande détenue à 50% par la femme du cadre valaisan de Ruag. Cette vente, réalisée en cinq étapes en une seule journée, aurait connu une augmentation de prix spectaculaire, comme l'indiquent des données internes citées par le journal Blick. Le couple valaisan n'a pas pu être contacté par nos soins. Mais ce dossier aux multiples ramifications se complique encore plus ces derniers jours. 👇
L'affaire des 100 Leopard 1 italiens est de plus en plus confuse. Elle a commencé, en 2016, lorsque l'ancien Ruag Defence a acheté les chars à l'Agenzia italiana difesa (Aid) italienne pour 4,5 millions d'euros. Cet achat comprenait d'ailleurs une quantité impressionnante de pièces de rechange.
Pour l'instant, 96 des chars (quatre auraient été revendus à une entreprise italienne) se trouvent depuis environ mi-2016 à Villesse, dans le nord de l'Italie, près de la frontière avec la Slovénie.
Selon le contrat de vente rendu public par la télévision tessinoise RSI, Ruag a indiqué qu'elle utiliserait les chars «dans plusieurs projets internationaux». Il est donc clair qu'elle voulait les revendre.
Seulement, il semblerait que l'autorisation italienne nécessaire pour la vente et l'exportation de ces chars n'ait jamais été obtenue. C'est la conclusion à laquelle est parvenue l'organisation non gouvernementale OPAL de Brescia (IT), spécialisée dans la politique de sécurité, après analyse des documents officiels du gouvernement italien.
Une autorisation de vente et d'exportation est pourtant obligatoire selon la loi italienne, d'après l'Opal. L'agence d'armement Aid aurait dû la demander à l'autorité compétente en matière d'autorisation, l'Uama. Or, il n'y a aucune trace d'une telle autorisation dans les listes annuelles de l'Uama. Opal demande maintenant au Parlement italien de clarifier les faits.
Sans autorisation, le marché n'aurait été admis que si les chars n'avaient pas été du matériel de guerre. Est-ce pour cette raison que Ruag a déprécié la marchandise, en soi précieuse, et l'a traitée comme de la ferraille? Voyons cela de plus près...
Non. Ces chars sont tout sauf de la féraille – Ruag l'a prouvé lorsqu'elle a voulu les revendre à l'entreprise allemande Rheinmetall au début de cette année, en vue de leur révision et de leur utilisation au front en Ukraine. Le Conseil fédéral a bloqué la procédure, estimant qu'elle était contraire au droit suisse et à la neutralité du pays.
En 1995, l'Italie avait, en outre, encore modernisé 120 Leopard 1 A5 supplémentaires. Ils ont notamment reçu de nouvelles tourelles, qui ont coûté environ un million chacune. 100 d'entre eux ont été livrés à Ruag, en 2016. Donc c'était des machines qui fonctionnaient. D'ailleurs, l'entreprise en mains de la Confédération avait un projet pour ces tanks.
Selon Opal, Ruag prévoyait, en 2016, au moment de l'achat, de «vendre les chars à l'armée brésilienne, une transaction qui n'a finalement pas eu lieu». Et pour laquelle l'autorisation aurait en tout cas fait défaut.
En 2017, les médias brésiliens avaient également fait état de ce possible accord. Une délégation de l'armée brésilienne se serait rendue en mission secrète à Villesse, dans le nord de l'Italie, ainsi qu'à Thoune chez Ruag Land Systems et à Winterthour auprès de la brigade mécanisée 11, écrivait la plateforme infodefensa, visiblement bien informée. Et il aurait été question de l'achat éventuel de 120 Leopard 1A5 italiens surnuméraires. Ruag aurait proposé ces chars à la vente, apparemment via sa filiale en Allemagne.
Plus tard, comme on l'apprendra, Ruag aurait quand même vendu quelques-uns des 96 chars restants. L'entreprise allemande GLS revendique depuis peu 25 de ces engins de guerre. Elle affirme les avoir achetés à Ruag en novembre 2019.
Interrogée mercredi soir, Ruag a répondu qu'elle n'avait pas reçu d'informations de la part de l'Italie selon lesquelles les autorisations nécessaires auraient fait défaut. Elle n'a jusqu'à présent pas demandé d'autorisation en Italie, précise un porte-parole, «car cette transaction a été interdite par le Conseil fédéral». Ruag n'a pas besoin d'une autorisation d'exportation italienne, car l'entreprise n'est pas enregistrée en Italie.
En tout cas, cette affaire suspecte soulève de plus en plus de questions et une série d'enquêtes est actuellement en cours:
La présomption d'innocence reste de rigueur. On peut s'attendre, en revanche, à une pression encore un peu plus forte sur la ministre de la Défense Viola Amherd. Après tout, c'est elle qui représente l'autorité de tutelle de Ruag.
Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci