Depuis l'attaque russe en Ukraine, les autorités suisses ont pratiqué une sorte de politique de «copier-coller» en matière de sanctions économiques. Elles se sont toujours contentées de reprendre – plus tard et avec certaines nuances – ce que l'Union européenne (UE) avait décidé. Selon la doctrine officielle, il s'agissait de «renforcer» l'effet des sanctions internationales.
Le résultat de cette politique de reprise de sanction consiste, aujourd'hui, en un document de plus de 300 pages. 1156 personnes et 98 entreprises ou organisations y sont répertoriées. Leurs fonds et «ressources économiques» ont été gelés. Il n'est pas surprenant que cela ne convienne pas à tous les concernées. Aujourd'hui, certains ont déjà déposé une demande formelle pour disparaître de la liste des sanctions suisses.
C'est ce que confirme Fabian Maienfisch, un porte-parole du Secrétariat d'Etat à l'Economie (Seco), à watson. L'autorité ne donne, toutefois, pas d'autres informations à ce sujet, renvoyant aux procédures en cours. On ne sait donc pas exactement qui sont ces gens et combien ont déposé une demande.
La réticence du Seco à communiquer est surprenante. En effet, si une sanction est supprimée, elle devient inévitablement publique. Les listes en question ne sont, en effet, pas cachées et les modifications individuelles sont également répertoriées, séparément. Le principe qui se cache derrière est simple: l'Etat ne devrait pas pouvoir sanctionner secrètement et arbitrairement des individus.
A noter que si des personnes ou des entreprises sanctionnées sont retirées de la liste, ce serait potentiellement explosif. En effet, contrairement aux amendes, par exemple, ce n'est pas un tribunal, mais le Conseil fédéral qui décide si la sanction a été infligée à tort. Il s'agit donc d'une décision hautement politique. Il se trouve que c'est le Département de l'Economie de Guy Parmelin (UDC) qui en est le premier responsable. Toutefois, la décision finale appartient au Conseil fédéral. Et, pour ce dernier, une demande de «radiation» serait un exercice d'équilibrisme politique.
Pourquoi? Car le gouvernement ne devra pas seulement écouter les arguments d'un oligarque ou d'une entreprise en particulier, mais évaluer les conséquences en termes de politique étrangère. En effet, si le Conseil fédéral supprime un nom, les sanctions de même teneur de l'UE ou des Nations unies seront affaiblies.
Les Russes concernés – mais aussi les citoyens ukrainiens sanctionnés ayant des liens avec le Kremlin –, espèrent néanmoins que la Berne fédérale se montrera conciliante. Les médias russes leur expliquent que la Suisse fait soi-disant partie des Etats les plus hostiles à la Russie et que les sanctions sont de toute façon «illégales». Ces reproches sont justifiés par des statistiques censées montrer le nombre de «sanctions antirusses». La Suisse y est mentionnée en tête de liste et aurait décidé des centaines de sanctions de plus que l'UE.
Il y a un peu plus d'un mois, le politicien russe Viatcheslav Volodine a même accusé la Suisse d'être coresponsable de la hausse des prix de l'énergie et des denrées alimentaires en raison de tels chiffres. De telles «sanctions illégales contre la Russie» sont les principales responsables des futures crises économiques mondiales, a-t-il déclaré sur son canal Telegram.
La semaine où les affirmations de Viatcheslav Volodine sont tombées, les médias russes, dont Kommersant, se sont fait l'écho d'une prétendue victoire, en Suisse, d'une entreprise russe. Selon ces affabulations, la société milliardaire EuroChem aurait réussi à faire en sorte de ne plus être sanctionnée par la Suisse. Le titre était erroné, mais a été largement diffusé en Russie, ce qui a peut-être donné l'idée à certains oligarques de soumettre également une demande de suppression au Conseil fédéral suisse.
(Traduit de l'allemand par jah)