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Washington attaque Berne par le biais de l'ex-procureur suisse

L'ancien procureur général de la Confédération Michael Lauber avec son ancien conseiller Viktor K. en 2014 sur le lac Baïkal. L'hôte de la croisière de plaisance sur un yacht était Saak Kara ...
L'ex-procureur général de la Confédération Michael Lauber avec son ancien conseiller Viktor K. en 2014, lors d'une croisière de plaisance sur le lac Baïkal.Image: dr

Washington attaque Berne par le biais de cet ex-procureur suisse

Une commission du gouvernement américain veut sanctionner l'ancien procureur de la Confédération, Michael Lauber. Il est notamment accusé d'avoir accepté des cadeaux et des voyages illicites de la part de fonctionnaires et d'oligarques russes. L'intéressé dément fermement.
02.08.2023, 11:4802.08.2023, 18:49
Henry Habegger / ch media
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La lettre a été envoyée le 27 juillet au secrétaire d'Etat américain Antony Blinken et à la secrétaire au Trésor Janet Yellen. La commission gouvernementale dite d'Helsinki, dirigée par le républicain Joe Wilson, a exigé de l'exécutif américain qu'il sanctionne trois citoyens suisses.

Pourquoi? Ils auraient aidé des Russes sanctionnés à obtenir des fonds d'origine criminelle bloqués en Suisse. Il s'agit d'argent provenant de la gigantesque fraude fiscale découverte par le conseiller fiscal Sergueï Magnitski, mort en prison.

Les trois personnes sont l'ancien procureur général de la Confédération Michael Lauber, son procureur en chef Patrick Lamon, ainsi qu'un ancien enquêteur russe, connu sous le nom de Viktor K.* Ils sont également accusés d'avoir «accepté des cadeaux et des voyages illicites de la part de fonctionnaires et d'oligarques russes».

Les reproches sont peu différenciés et globaux. Mais c'est justement le cas de Viktor K., que la commission américaine utilise comme munition, qui montre de manière exemplaire les risques qui existent dans les relations avec la Russie.

Chasser l'ours en Russie

Fin 2016, Viktor K., alors enquêteur de l'Office fédéral de la police (Fedpol) détaché auprès du Ministère public de la Confédération, s'est rendu à Moscou. On lui avait promis un document qui aurait permis à l'équipe de Michael Lauber de porter plainte dans une affaire de blanchiment d'argent.

Viktor K. n'a-t-il finalement pas reçu le document? Parce que des cercles au sommet du gouvernement russe l'ont empêché? Tout cela était-il un piège? Le fonctionnaire qui voulait remettre le document à Viktor K. est mort plus tard dans un accident d'hélicoptère.

Viktor K. lui-même a acquis une célébrité douteuse: il a été dénoncé par Fedpol et plus tard, justement à l'instigation de son mandant, le Ministère public de la Confédération, il a été condamné par le Tribunal pénal fédéral pour prise d'avantage: il s'est fait inviter en Russie pour chasser l'ours.

Le Ministère public de la Confédération a laissé Viktor K. sur le carreau, on ne sait pas pourquoi.

Croisière de plaisance

En Russie, les frontières sont poreuses, comme dans la justice pénale suisse aussi parfois. On l'a vu dans le cas de Viktor K., mais aussi dans l'affaire des rencontres entre Michael Lauber et le chef de la Fifa Gianni Infantino.

Au vu de l'épisode de la chasse à l'ours, on peut se demander si la justice pénale suisse a souvent franchi les frontières dans le but d'obtenir l'aide juridique de la Russie. Est-elle tombée dans les pièges tendus par les Russes, qui n'ont pas froid aux yeux?

Ce qui est sûr, c'est que Michael Lauber s'est rendu plusieurs fois en Russie à partir d'octobre 2012 pour des questions d'entraide judiciaire, accompagné à plusieurs reprises par Viktor K. En 2013, Lauber a participé à Moscou à la conférence de plusieurs jours de l'Association Internationale des procureurs. On n'oubliera pas non plus les photos de la croisière de plaisance d'une délégation russo-suisse dirigée par Lauber sur le lac Baïkal en 2014.

Michael Lauber se défend

Peut-on exclure que les Russes aient essayé de se procurer du matériel compromettant ou désavantageux, ou qu'ils l'aient fait? La vodka peut couler à flots lors de fêtes organisées dans le cadre d'événements officiels... Contacté, Michael Lauber répond:

«Concernant votre question formulée de manière spéculative: je ne me suis jamais comporté de manière compromettante. Je sais comment évoluer dans un environnement où la sécurité est primordiale. Notamment, je n'ai jamais participé aux "fêtes" dont vous parlez.»

Ce qui est sûr, c'est que des histoires opaques comme celle de Viktor K. servent, désormais, de prétexte aux adversaires du Kremlin aux Etats-Unis pour attaquer la justice suisse. Dans l'affaire Magnitski, il s'agit d'environ 15 millions de dollars que le Ministère public de la Confédération veut restituer, après plus de dix ans, à trois Russes présumés corrompus, après avoir déclaré qu'il n'avait pas pu prouver que l'argent était d'origine criminelle. L'affaire est actuellement pendante devant le Tribunal fédéral.

Dans le Tages-Anzeiger, Michael Lauber a rejeté les reproches américains, qu'il qualifie d'«absurdes». Il s'agit au fond de la politique de sanctions contre la Russie menée par la Suisse, dont les Etats-Unis ne sont pas satisfaits:

«La rancœur contre la Suisse se déverse sur moi. En tant que procureur fédéral, je suis le bouc émissaire pour tout et n'importe quoi»
Michael Lauber

Que dit la justice suisse?

Le Ministère public de la Confédération (MPC), sous la direction du successeur de Lauber, Stefan Blättler, rejette également «avec la plus grande clarté les reproches et exigences sans fondement formulés à titre personnel et notamment contre certains collaborateurs en raison de leur activité pour l'Etat de droit suisse».

La procédure critiquée se déroule selon les principes de l'Etat de droit et la séparation des pouvoirs; elle est «menée de manière correcte et judiciaire». Ainsi, le Tribunal pénal fédéral, en tant qu'instance de recours, a protégé à plusieurs reprises les actes de procédure du Ministère public de la Confédération.

*Nom d'emprunt

(Traduit et adapté par Chiara Lecca)

Vladimir Poutine dans tous ses états
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Vladimir Poutine dans tous ses états
Poutine en mode chasseur, 2010.
source: ap ria novosti russian governmen / dmitry astakhov
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