Exportations d'armes, neutralité, sanctions: la Suisse est sous pression internationale sur plusieurs fronts en ce qui concerne sa position sur la guerre en Ukraine et ses conséquences. Récemment, une profession qui se veut discrète en a fait les frais: les avocats.
Début avril, les ambassadeurs des pays du G7 ont adressé une lettre au Conseil fédéral pour l'avertir que les avocats suisses pourraient aider des oligarques russes à contourner les sanctions «dans leur rôle d'intermédiaires financiers». La crainte? Qu'ils aident à mettre en place des structures financières illégales pour dissimuler «les traces des avoirs placés».
Brian Nelson, sous-secrétaire du Département du Trésor des Etats-Unis et plus haut responsable des sanctions du président américain Joe Biden, est revenu sur le sujet lors d'une visite en Suisse. La semaine passée, il a rencontré des représentants du Secrétariat d'Etat à l'économie (Seco). Selon le Seco, la problématique de la gestion de fortune par les avocats a été abordée lors de cette rencontre.
La pression exercée par l'étranger sur les avocats suisses n'est pas vraiment une surprise. Dans le cadre des «Panama Papers» publiés en 2016, certains d'entre eux avaient déjà fait la Une des journaux pour avoir mis en place des structures offshore afin de dissimuler des fonds issus d'affaires parfois criminelles.
En 2019, le Conseil fédéral a proposé une révision de la loi sur le blanchiment d'argent. Il voulait introduire des obligations de diligence et de vérification pour les avocats et les notaires. Il s'agit d'une demande de longue date du Groupe d'action financière. Cet organe international de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme est surtout connu sous son acronyme français Gafi.
Mais le Parlement ne voulait pas entendre parler de contraintes supplémentaires pour les avocats. Pour de nombreux avocats des deux Chambres, c'était un refus catégorique. Le ministre des Finances de l'époque, Ueli Maurer, a mis en garde contre une lacune de la loi qui serait dénoncée au niveau international.
La majorité bourgeoise du Parlement ne s'est pas laissée impressionner. La révision décidée en mars 2021 en est restée là: les avocats et les notaires ne sont soumis à la législation anti-blanchiment d'argent que lorsqu'ils agissent en tant qu'«intermédiaires financiers». C'est le cas lorsqu'ils disposent directement de flux financiers pour le compte d'un client, par exemple en tant que mandataire ou directeur d'une entreprise. Dans ce cas, ce n'est pas le secret professionnel de l'avocat qui s'applique, mais le secret fiduciaire, moins bien protégé.
Les avocats ne sont pas soumis à la loi anti-blanchiment s'ils sont actifs en tant que conseillers dans le cadre de leur activité professionnelle – par exemple lors de la mise en place de réseaux complexes de sociétés. De telles activités sont protégées par le secret professionnel de l'avocat.
Il y a toutefois une zone grise qui s'étend largement en Suisse, a déclaré cette semaine le professeur émérite de droit pénal bâlois et expert en corruption Mark Pieth à la Handelszeitung. C'est ce qui bloque le Seco dans sa recherche de capitaux dissimulés des oligarques.
En octobre dernier, sous son prédécesseur Ueli Maurer, le Département fédéral des finances (DFF) a fait une nouvelle tentative pour réglementer cette zone grise. D'ici l'été, il entend élaborer un nouveau projet. Celui-ci devrait contenir de nouvelles mesures visant à renforcer le dispositif de lutte contre le blanchiment d'argent, dont des adaptations pour les avocats et les notaires.
Cette fois-ci, l'avocat et chef du groupe parlementaire du centre Philipp Matthias Bregy, qui s'était opposé à de nouvelles prescriptions pour sa profession lors de la dernière révision, signale une certaine ouverture.
Mais le Valaisan souligne que les règles suisses en matière de blanchiment d'argent sont strictes en comparaison internationale et qu'elles s'appliquent également aux avocats «dès qu'ils mettent la main sur de l'argent.»
L'avocat genevois et conseiller national PLR Christian Lüscher qualifie le secret professionnel de l'avocat de «pilier fondamental de notre Etat de droit», qui ne doit pas être mis à mal sous prétexte de la lutte contre le blanchiment d'argent. Dans la mesure où les avocats agissent en tant qu'intermédiaires financiers, ils sont soumis aux mêmes dispositions en matière de blanchiment d'argent que les autres acteurs, souligne-t-il.
Pour la Fédération suisse des avocats également, la législation actuelle «ne craint pas la comparaison internationale». L'institution se demande dans quelle mesure il existe dans le monde une réglementation plus efficace que celle en vigueur en Suisse.
La conseillère nationale Vert'libérale Judith Bellaïche s'était déjà engagée pour des règles plus strictes lors de la dernière révision. Selon elle, l'ordre des avocats et ses représentants au Parlement mènent un «combat d'arrière-garde». Elle comprend que la profession s'oppose aux allégations venant de l'étranger, selon lesquelles tous les avocats suisses seraient complices du blanchiment d'argent. Mais elle réclame tout de même des règles plus strictes. Avec sa place financière, la Suisse joue sur un terrain de jeu international.
Pour les trois parlementaires interrogés, les tentatives actuelles de pression sur la Suisse ne sont pas seulement justifiées par des raisons objectives, mais aussi l'expression d'une politique de puissance. Un chiffre suffit à illustrer ce propos. Sur les 40 recommandations du Gafi, la Suisse en respecte 35 entièrement ou en grande partie, et cinq seulement en partie. Les Etats-Unis, qui exercent actuellement la plus grande pression sur la Confédération, ne remplissent que partiellement cinq recommandations. Quatre ne sont pas du tout remplies.
Traduit et adapté par Anaïs Rey.