Les Suisses achètent environ 100 litres de boissons alcoolisées chaque année, soit huit litres de substance pure. Le vin et la bière occupent une place de choix dans notre société. Il n'en va pas autrement aux Etats-Unis, où la chute actuelle des actions des brasseurs et des distillateurs suscite de vives réactions.
Pour comprendre la situation, il faut s'intéresser à une recommandation du médecin généraliste américain, Vivek Murthy. Il demande au Congrès d'autoriser des pictogrammes d'avertissements sur les boissons avec alcool, qui permettraient de mettre en garde contre les risques de cancer à l'image des paquets de cigarettes.
«Le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) classe l'alcool parmi les substances cancérigènes pour l'humain depuis 1988», explique Daniel Dauwalder de l'Office fédéral de la santé publique (OFSP). Ce lien entre alcool et cancer s'est depuis lors confirmé scientifiquement.
De son côté, la Croix-Bleue parle d'un risque très élevé de maladie. «On sait que cela augmente le risque de sept types de cancer», déclare Martin Bienlein de la Croix-Bleue Suisse. Malheureusement, au moment du diagnostic, on ne relève pas souvent la consommation d'alcool. En partie parce que les médecins en consomment eux-mêmes et minimisent les effets néfastes.
Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), ces derniers existent même pour une consommation modérée. Dans une étude parue dans The Lancet en 2023, des chercheurs suisses et danois constataient qu'il était impossible de fixer un seuil en-deçà duquel on pourrait totalement exclure un quelconque risque. Il faut en effet savoir que la moitié des cancers attribuables à l'alcool sont dus à une consommation légère ou modérée.
Par «modéré», on entend – au sein de l'Union européenne – moins de 1,5 litre de vin, de 3,5 litres de bière ou de 4,5 décilitres de spiritueux par semaine. Pour l'année écoulée, l'étude attribue des milliers de nouveaux cas, des cancers du sein pour moitié, à ce niveau de consommation. Plus d'un tiers des malades avaient même une consommation encore moins importante.
Pour le spécialiste de l'OFSP, les éventuels bénéfices de l'alcool pour la santé sont controversés.
Toutefois, les auteurs de l'étude mentionnent également des effets positifs. Ce que confirme Markus Meury d'Addiction Suisse:
Et à partir d'un verre par jour, les effets négatifs l'emportent donc sur les effets positifs.
L'objectif de Vivek Murthy est de réduire les risques de cancer pour la population américaine avec plus de mises en garde. Cela rappelle les efforts entrepris pour le tabac, qui ont conduit à un recul spectaculaire du phénomène, écrit le journal américain Financial Times. Selon le généraliste, il s'agit ainsi de sensibiliser la population. Il s'appuie sur les données les plus récentes, qui révèlent que moins de la moitié des Américains savent que la consommation d'alcool augmente le risque de cancer.
En Suisse non plus, ce lien n'est pas très connu, assure Markus Meury. Martin Bienlein partage également son avis:
L'enquête Santé et style de vie interroge la population tous les quatre ans sur ses connaissances en la matière.
Seule la moitié de la population sait que l'alcool peut provoquer des cancers de la bouche et de la gorge, et seul un tiers sait pour le cancer du sein.
Il est donc urgent d'informer, demande le représentant d'Addiction Suisse. Reste à savoir si des symboles sur des bouteilles suffiront.
Les menaces de mort sur les paquets de cigarettes ont certes des répercussions, «mais il faut changer régulièrement les images et les slogans. Sinon, les gens s'y habituent», explique Markus Meury.
Le discours de Daniel Dauwalder de l'OFSP ne diffère pas: selon lui, les textes ont bien davantage d'impact lorsqu'on les associe à des images.
De son côté, «La Croix-Bleue part du principe que les mises en garde ont un effet», complète Martin Bienlein. En outre, comme pour tous les autres aliments, les valeurs nutritives et le nutri-score doivent également figurer de manière bien visible sur les étiquettes. «L'alcool n'est pas une denrée comme une autre, quoi que l'industrie veuille nous faire croire», soutient-il.
La gastronomie serait également concernée par une sensibilisation accrue. La faîtière Gastrosuisse refuse pour l'heure de prendre position et ne se sent pas encore en mesure de le faire, justifie sa porte-parole.
On fait souvent référence à la responsabilité individuelle, commente Markus Meury d'Addiction Suisse. Or, une décision de consommation responsable n'est possible que sur la base d'une information correcte, poursuit l'expert.
«A partir de 2026, l'Irlande deviendra officiellement le premier pays à introduire des avertissements obligatoires concernant la grossesse et le cancer», indique le représentant de la Croix-Bleue. La loi a déjà été adoptée. En parallèle, les fabricants d'alcool ont déjà commencé à «imprimer» eux-mêmes des mises en garde sur les étiquettes. «Rien de tel n'est prévu en Suisse pour l'heure pour les boissons alcoolisées», conclut Daniel Dauwalder.
(Adaptation française: Valentine Zenker)