Pour beaucoup de personnes, c'est devenu un réflexe: lorsqu'on se sent moins bien, on se tourne volontiers vers vitamines et minéraux. Ces suppléments alimentaires sont souvent utilisés pour lutter contre la fatigue, améliorer le bien-être et même prévenir certaines maladies. Jusqu'à un adulte sur cinq consomme ce type de substances en Suisse.
Face à un tel succès, on pourrait se demander si ces compléments sont effectivement efficaces. D'autant plus que leur consommation est en partie motivée par des facteurs psychologiques, avance Vanessa Kraege, médecin spécialisée au Chuv: «Les gens ont l'impression de se faire du bien», indique-t-elle. Et d'ajouter:
Sans oublier l'impact de la publicité et le fait qu'on les retrouve partout, à la pharmacie, dans les magasins ou encore en ligne, ajoute la spécialiste, qui a co-mené une étude sur le sujet publiée le mois passé dans la revue European Journal of Nutrition.
La recherche analyse les effets de ces compléments sur la fatigue, et les résultats sont très clairs: aucune amélioration significative n’a été observée chez les consommateurs de vitamines et minéraux.
«La fatigue peut être causée par une multitude de facteurs, et ce n'est pas en prenant des vitamines qu'on va régler les choses», commente Vanessa Kraege. «Il s'agit d'un symptôme qui peut être causé par de nombreux éléments, allant d'un manque de sommeil à la présence d'une maladie grave», complète Pedro Marques-Vidal, professeur au Chuv et coauteur de l'étude.
Pour cette raison, Vanessa Kraege estime qu'il faut aller à la racine du problème et comprendre son origine: «S'agit-il par exemple de notre hygiène de vie, de la qualité de notre sommeil, d'une infection ou encore d'un cancer?», énumère-t-elle. «Aucun de ces facteurs ne peut être compensé par des pilules de vitamines».
Parfois, identifier les raisons n'est tout simplement pas possible, ajoute la spécialiste, qui souligne qu'une «petite fatigue passagère n'est pas très grave». «Ce qui est important, c'est de comprendre s'il y a un changement ou un aspect anormal», développe-t-elle. En cas de fatigue nouvelle, qui perdure et qui a des effets secondaires, elle conseille de faire appel à un médecin.
Mais de quels suppléments parle-t-on, au juste? «Il y a vraiment de tout», répond Pedro Marques-Vidal. Le plus souvent, il s'agit de comprimés ou de gélules que l'on trouve dans le commerce, ou, plus rarement, de solutions à avaler. «A cela s'ajoutent de nombreux produits plus ou moins étonnants, tels que la racine de baobab ou le cartilage de requin», illustre-t-il. Seules les substances à destinée médicale ont été exclues de l'étude.
«Le gros problème, c'est qu'on peut mettre tout et n'importe quoi dans un supplément vitaminique», indique encore le professeur. «C'est extrêmement difficile de savoir ce qu'il y a dedans».
Bin sûr, cela ne veut pas dire que ces substances soient toujours inutiles. Il y a des périodes physiologiques de la vie pendant lesquelles il faut prendre des vitamines particulières. C'est notamment le cas de la grossesse, de la naissance ou des trois premières années de vie, précise Vanessa Kraege.
«En revanche, un adulte en bonne santé, qui mange de façon équilibrée sans régime alimentaire particulier, n'a aucune raison de prendre des vitamines, car il n'a aucune raison d'avoir des déficits à ce niveau», insiste-t-elle.
Les auteurs de l'étude rappellent en effet qu’une alimentation équilibrée peut suffire, même en l'absence de viande. «Un régime végétarien classique peut couvrir tous nos besoins, du moment où il est suffisamment varié», renseigne Pedro Marques-Vidal. «Le discours change quand on a affaire à des alimentations plus extrêmes, telles que le régime végan ou paléolithique», poursuit-il.
Dans une autre étude, toujours menée au Chuv et publiée par la même revue, Pedro Marques-Vidal a évalué l'impact des suppléments vitaminiques à plus long terme. «Une partie de la population pense toujours que les vitamines protègent contre tous les maux, qu'elles peuvent même prolonger la vie», argumente-t-il.
Le professeur et son équipe ont donc voulu savoir si ces compléments avaient un quelconque effet sur la mortalité ou sur les maladies cardiovasculaires. «La réponse est non», tranche-t-il. Aucune association de ce type n'a pu être observée. «Dans la plupart des cas, ces vitamines sont inutiles, tant au niveau de la fatigue que de la mortalité», résume-t-il.
«A l'heure actuelle, en tant que médecins, nous ne pouvons pas recommander la consommation de vitamines s'il n'y a pas de risque de carence», renchérit Vanessa Kraege. Et de conclure: «Cela revient à inventer un besoin, c'est comme demander à quelqu'un de faire une assurance dont il n'a pas besoin».