C'était en 2011, j'avais 18 ans et j'étais assise en face de la gastroentérologue qui m'avait déjà fait passer une deuxième œsophagoscopie. La caméra avait certes révélé une nouvelle irritation de mon œsophage, mais elle n'expliquait pas mes autres symptômes, dont des nausées persistantes. Je n'avais aucune idée de s'il existait un lien quelconque avec l'œsophage, mais c'était elle la spécialiste et ça ne coûtait rien de demander. Apparemment, c'était à moi de me remettre en question, comme j'allais immédiatement le constater.
Sa réaction était si violente que j'ai honteusement cligné des yeux sur mes larmes naissantes et me suis juré d'enterrer le sujet. Ni elle ni moi ne pouvions savoir à l'époque qu'un petit muscle dans ma gorge était à l'origine d'une série de symptômes apparemment sans rapport.
Ce n'est que huit ans plus tard que le médecin américain Robert W. Bastian nommera et décrira pour la première fois le trouble Retrograde Cricopharyngeal Dysfunction (en abrégé R-CPD) en tant que signes cliniques. Tous les passages en italique de cet article sont extraits de cette première étude publiée en 2019, basée sur l'examen de 51 patientes et patients.
Voilà mon histoire avec la R-CPD.
Avec du recul, les problèmes ont commencé très tôt. Mes premiers souvenirs remontent aux fréquentes randonnées de mon enfance. A la maison, nous n'avions jamais de sodas, mais à ces occasions, lors du déjeuner ou du goûter au bistrot, nous pouvions commander tout ce que nous voulions. Mes préférés: l'Orangina et le Rivella. Côté dessert: une meringue avec de la crème ou une de ces glaces dans un coffre au trésor bleu avec un jouet caché dedans. Souvent, j'avais un peu la nausée après, mais de peur de devoir me passer de mon dessert à l'avenir, je ne disais rien.
Je dérangeais déjà mes parents avec mes problèmes de santé. Mes ballonnements, fréquents, étaient douloureux. Le soir en particulier, j'avais le ventre dur comme un caillou et gonflé comme un ballon.
Les examens de l'époque n'aboutissaient à rien, mais vers l'âge de huit ans, lors d'une radiographie pour une bronchite, on a découvert par hasard une énorme bulle dans mon estomac. A l'hôpital pédiatrique, les médecins ont conclu qu'il devait s'agir d'air enveloppé de salive. La manière dont elle a pu se former restait un mystère. Mais on nous a dit que tout ça était bénin, c'était le plus important.
Ces ballonnements fréquents et de l'inconfort m'ont accompagné jusqu'à l'adolescence. C'est alors que le monde de la fête – et des problèmes – s'est ouvert à moi avec une toute nouvelle intensité. Une bière et 15 minutes plus tard, je me retrouvais pliée en deux au-dessus de la cuvette des toilettes, en train de m'étouffer. Vodka-Redbull et autres mélanges alcoolisés pour adolescents, même combat.
Il m'a fallu un certain temps pour réaliser que le problème n'était pas l'alcool, mais le gaz carbonique – et j'ai soudain compris pourquoi, petite, j'avais si souvent la nausée après une randonnée. La gamme de boissons auxquelles j'avais droit s'est donc considérablement réduite et je n'ai plus eu de nausées compréhensibles que lorsque j'avais abusé des vodka/jus d'orange.
Bannir le gaz carbonique a certes résolu le problème des violentes nausées instantanées, mais les brûlures d'estomac, elles, sont restées. Elles sont apparues dans ma vie vers l'âge de 15 ans. Après chaque repas, l'acide gastrique me brûlait l'œsophage et lorsque je m'allongeais, il coulait jusqu'à ma gorge. Une gastroscopie a permis de diagnostiquer une œsophagite due à un fort reflux. On m'a prescrit des inhibiteurs de la pompe à protons (IPP), qui bloquaient la production d'acide gastrique. Sans que je ne ressente de grand soulagement.
Les brûlures d'estomac ne s'amélioraient pas et j'avais de plus en plus souvent des douleurs étranges derrière la poitrine et dans la gorge après les repas, comme si quelque chose était coincé. J'ai également commencé à avoir plus souvent des nausées, même sans avoir bu d'eau gazeuse.
En désespoir de cause, je n'ai cessé de googler mes différents symptômes sans succès, jusqu'au jour où je suis tombé sur un post sur Reddit.
Son contenu était presque identique à celui-ci:
Cette personne décrivait exactement mes symptômes. Je n'en croyais pas mes yeux. Pour la toute première fois, ça semblait prouver que je n'étais pas seule avec mes problèmes. Et puis: moi non plus, je ne pouvais pas roter. Etait-ce la cause du mal? En outre, mon estomac et ma gorge faisaient aussi des gargouillis étranges après avoir mangé (et surtout après avoir bu du gaz carbonique).
Les réponses à l'article Reddit regorgeaient de conseils bien intentionnés sur la manière d'apprendre à roter. Tout cela n'a servi à rien. Mais il me restait au moins le soulagement que j'ai ressenti après avoir trouvé ce post Reddit. Je n'étais pas seule. Il devait donc y avoir une explication rationnelle.
J'ai décidé d'aller une nouvelle fois au fond des choses. J'ai exposé le problème à mon médecin de famille, qui a d'abord ri sans me croire avant de me répondre maladroitement:
Une réaction qui m'était désormais trop familière. J'ai insisté sur le sérieux du sujet et il m'a renvoyé vers des spécialistes. Cette fois-ci, en plus d'une deuxième oesophagoscopie, on m'a aussi fait une oesophageographie et une manométrie oesophagienne.
L'oesophageographie, c'est un examen radiologique de l'oesophage. On boit un produit de contraste qui permet d'observer le trajet du liquide par radiographie de la bouche à l'estomac. L'examen n'a rien révélé d'anormal.
Lors de la manométrie oesophagienne, un cathéter muni de sondes de mesure de la pression est introduit dans l'estomac par le nez anesthésié. Celle-ci mesure la pression de l'oesophage pendant que le patient boit de l'eau et mange un repastest à base de riz cuit. Cet examen n'a rien apporté de nouveau non plus.
Je ne me souviens plus de l'ordre exact des examens. Je me rappelle seulement que la deuxième oesophagoscopie a de nouveau révélé une irritation et que ce sont les déclarations de cette spécialiste qui ont détruit tous mes espoirs de trouver une réponse. L'impossibilité de roter, les nausées et les inconforts après avoir mangé, et surtout après avoir bu du gaz carbonique, tout cela n'avait absolument rien à voir selon elle.
J'ai alors mis un terme à mes investigations. J'étais moi-même responsable de mes symptômes, je devais donc trouver moi-même des stratégies pour y faire face. Lorsque les nausées après manger devenaient insupportables, un doigt dans la gorge à la salle de bain pour déclencher le réflexe nauséeux m'aidait. C'est le seul moyen, très désagréable, pour laisser s'échapper l'air de mon œsophage et de mon ventre. J'ai appelé ça «vomir de l'air». Au début, je devais parvenir notamment à m'arrêter assez tôt, avant que le reste du contenu de l'estomac ne suive automatiquement.
J'ai commencé à faire plus attention à ce que je mangeais, j'ai pu identifier en partie ce qui aggravait mes nausées et mes brûlures d'estomac en plus du gaz carbonique. Mais de nombreux ingrédients déclencheurs me sont encore inconnus aujourd'hui. Manger à l'extérieur comporte donc toujours un certain risque, car j'y mange plus souvent des choses inhabituelles. C'est ce qui s'est passé à Noël dernier avec ma famille. L'excellent et copieux souper et le buffet de desserts qui a suivi, c'en était trop.
Si les nausées restent dans la limite du supportable, je n'en parle même plus. Mon entourage proche sait toutefois que cela peut parfois être plus conséquent. Quand je suis de sortie, la question n'est pas de savoir si, mais quand je dois «vomir de l'air» dans des toilettes publiques.
Dix ans plus tard, fin août 2021, la fête d'été chez watson se termine dans un bar de la Langstrasse. Notre rédacteur en chef veut nous offrir une tournée de bières, je dois refuser en le remerciant. Mon ancien collègue, Dennis, me demande pourquoi. Je lui raconte toute l'histoire. Très surpris, il m'écoute. Je n'ai donc plus jamais essayé de clarifier la situation? Je réponds que non. Presque dix ans s'étaient écoulés depuis la deuxième gastroscopie. Il n'est pas possible qu'il n'y ait toujours rien à ce sujet, s'étonne-t-il. (Si tu lis ceci, merci, Dennis!)
Sur le chemin du retour, dans le tram, je google pour la première fois depuis bien longtemps. Et je le trouve: le subreddit No-Burp. Une communauté de «non-roteurs» qui existe depuis 2014 et qui raconte ses problèmes et se conseille mutuellement. Lorsque je tombe sur le terme «Air Vomit» (vomissement d'air), je ne peux m'empêcher d'éclater de rire, de surprise et de soulagement. Je ne suis pas folle!
Les larmes aux yeux, je lis les contributions les unes après les autres. Je ne me suis jamais sentie aussi comprise. Le fait que nous soyons apparemment tous dans le même cas rend le tout encore plus savoureux:
Le subreddit mentionne aussi spécialement souvent un certain Dr Robert W. Bastian. Une recherche Google plus tard, et j'ai sous les yeux son étude publiée en 2019. Son titre:
Pour la première fois, mon mal a un nom: Retrograde Cricopharyngeal Dysfunction. Pour la première fois, il peut être diagnostiqué. Et traité? Je survole le document tandis que toutes les pièces du puzzle s'assemblent dans ma tête. Les ballonnements, les nausées et l'inconfort après les repas, les bruits de grenouille, l'oppression dans la poitrine, et même les brûlures d'estomac – tout se tient.
Il y a même des réponses à des questions auxquelles je n'avais même pas pensé – par exemple, pourquoi les vomissements sont toujours incroyablement douloureux?
Le quatrième symptôme principal – des flatulences excessives – semblait m'avoir épargnée.
L'étude m'a offert pour la première fois une explication médicale à mon incapacité à roter: elle est due à un trouble du sphincter supérieur de l'oesophage, qui ne peut pas se détendre pour laisser l'air s'échapper vers le haut. Un dysfonctionnement apparemment banal, mais qui provoque des symptômes considérables.
Pour remédier à ces symptômes, il faut effectivement apprendre à roter. Mais la simple volonté ne suffit pas toujours. Le Dr R. W. Bastian décrit dans ses recherches comment une injection de Botox dans le sphincter peut éliminer le trouble. En le paralysant, on force le sphincter à se détendre. Alors que l'effet du Botox s'estompe au cours des semaines, le muscle apprend à se relâcher de lui-même lorsque cela est nécessaire. L'air peut s'échapper – on peut enfin roter.
Robert W. Bastian a été accueilli en héros par la communauté des «non-roteurs» pour avoir décrit la maladie R-CPD et son traitement pour la première fois.
Mais mon élan de joie s'est vu stopper net lorsque j'ai voulu me procurer ce traitement au Botox en Suisse. Il s'est alors avéré n'y avoir que très peu d'endroits dans le monde où il était proposé. Pendant trois ans, j'ai cherché en ligne, jusqu'à ce que je tombe l'automne dernier sur une page de l'hôpital cantonal de Saint-Gall consacrée à ce sujet. Là-bas, on pouvait m'administrer ce remède.
Mon médecin de famille perplexe, qui n'avait jamais entendu parler de la R-CPD, m'a dirigée vers l'hôpital cantonal de Saint-Gall. Ma première consultation a eu lieu en décembre, au cours de laquelle j'ai failli sauter au cou du médecin. Jamais on ne m'avait écouté sans sourciller, et jamais on n'avait encore pris mes symptômes au sérieux.
Prochaine étape: une nouvelle gorgée de bouillie. Si celle-ci ne révèle pas d'autres problèmes inattendus, plus rien ne devrait s'opposer au traitement au Botox.
Et j'espère pouvoir bientôt roter comme tout le monde.
Développement suivra...
Adaptation française: Valentine Zenker