Les tatouages auraient un effet caché négatif sur le système immunitaire
Les tatouages, c'est une affaire de goût: crânes et dragons sur le biceps font la fierté des uns, grimacer les autres. Leur popularité ne baisse pas: on estime qu’une personne sur cinq en Suisse, comme ailleurs dans le monde, porte un tatouage. Les adolescents et jeunes adultes sont les plus prompts à franchir le pas. Notre pays compte environ 1000 studios spécialisés, sans parler des arrière-salles où on fait également vrombir les aiguilles.
Une étude de la revue Proceedings of the National Academy of Sciences soulève, toutefois, que les tatouages, même réalisés dans des conditions hygiéniques, présentent un risque sanitaire. Dirigées par l’Institut de recherche biomédicale de l'Università della Svizzera italiana, douze équipes de chercheurs internationaux ont étudié la sécurité des tatouages sur des rongeurs et échantillons humains.
L'encre s'accumule vite
On sait déjà que les tatouages peuvent provoquer, à court terme, des infections, réactions allergiques ou inflammations. Ce que l’on ignorait, c’est l’effet de l’encre sur le système immunitaire, chargé de protéger l’organisme contre infections et cancer.
Après sept ans de travaux, les chercheurs démontrent que l’encre migre très rapidement à travers le réseau lymphatique et s’accumule en quelques heures, en grande quantité, dans les ganglions lymphatiques, organes centraux de la défense immunitaire.
Dans ces ganglions, les macrophages – cellules chargées de neutraliser agents pathogènes et cellules cancéreuses – absorbent les pigments. Cette absorption déclenche une réaction inflammatoire en deux phases:
- Une phase aiguë d'environ deux jours après le tatouage.
- Puis une phase chronique susceptible de se maintenir éventuellement pendant des années.
Qu'est-ce qui poserait problème?
La réaction aiguë correspond à la réponse naturelle du système immunitaire face à une agression, selon le directeur de l’étude, Santiago González. Bien plus préoccupante est la phase chronique, lorsque l’inflammation s’installe durablement. «L'inflammation chronique épuise le système immunitaire, ce qui rend la personne plus vulnérable aux infections, voire au cancer», souligne Santiago González. Cette dernière hypothèse doit encore être étudiée. Le chercheur complète:
La phase chronique finit par affaiblir l’immunité et augmente le risque d’infections. L’étude montre que les macrophages ne parviennent pas à dégrader l’encre comme ils le feraient pour des agents pathogènes. Au contraire, les pigments provoquent la mort des cellules immunitaires, surtout lorsqu’il s’agit d’encre rouge ou noire. Piégée dans les ganglions, l’encre entretient un cycle continu d’absorption et de mort cellulaire qui, peu à peu, réduit la capacité de défense du système immunitaire.
La durée réelle de cette phase chronique reste inconnue. «Dans cette étude, nous avons observé des signes nets d’inflammation dans les ganglions au moins deux mois après le tatouage», précise Santiago González. «Comme l’encre y demeure pendant des années, nous pensons que l’inflammation pourrait aussi persister durant plusieurs années.» Cette hypothèse doit toutefois être confirmée.
Ailleurs dans le corps
L’inflammation apparaît surtout là où l’encre s’accumule, donc dans la peau et les ganglions lymphatiques. Le chercheur ajoute:
Dans ces cas, d’autres problèmes pourraient survenir. Il existe ainsi des observations faisant état de pigments retrouvés dans le foie après un tatouage. Santiago González et son équipe souhaitent étudier ces cas plus en détail.
Effacer ses tatouages pour protéger sa santé ne servirait pas à grand-chose. «Les traitements laser permettent d’éliminer l’encre de la peau, mais pas de l’extraire des ganglions», rappelle Santiago González. Retirer les ganglions n'est pas non plus une solution: cela provoquerait des perturbations du système lymphatique, notamment des lymphœdèmes.
Les chercheurs se sont également intéressés à une question soulevée durant la pandémie de Covid-19: une vaccination effectuée dans un bras tatoué pourrait-elle réduire l’efficacité du vaccin? L’étude montre que les souris tatouées produisent des taux d’anticorps nettement plus faibles que les autres après la vaccination, un effet probablement lié à la fonction diminuée des cellules immunitaires exposées durablement à l’encre. Des cellules immunitaires humaines mises en contact préalable avec l’encre ont aussi montré une réponse vaccinale affaiblie.
L’équipe souhaite désormais comprendre comment l’inflammation chronique causée par l’encre peut influencer des maladies comme le cancer ou les maladies auto-immunes. L’objectif est de mieux cerner les risques liés aux tatouages et de proposer des méthodes plus sûres pour une pratique qui n'a pas fini de se répandre.
