«Pendant qu'on voit clair et que les doigts vont, ben on tire!» On la sent cette saloperie de joie malveillante qui coule dans les veines du caméraman au moment d'interviewer ces deux retraités de Plagne, un village du Jura bernois, qui se ridiculisent involontairement dans un stand de tir.
L'émission Enquête exclusive, produite par la chaîne M6, vient de dévoiler la bande-annonce de son prochain numéro qui sera diffusé ce dimanche. Une minute et vingt-neuf secondes qui ressemblent plus volontiers à un sketch des deux Vincent qu'à une salve de révélations dramatiques d'Elise Lucet.
Et c'est bien ça qu'on aime détester. Nous, pauvres Helvètes, mais surtout nos voisins français.
A partir du seul teaser, on ne sait pas très bien de quel bois se chauffe réellement le reportage. Ce qui est sûr, c'est qu'on nous prend vraiment pour des abrutis.
Et ça démarre très fort. Après quelques plans filmés avec un drone (montagnes, vaches, église, jet d'eau) sur du cor des Alpes tout pété, deux policiers municipaux déboulent au pas de course sur le bitume lausannois.
Les Français, on le sait, s'en tapent complètement de la cohérence géographique lorsqu'ils égarent leurs caméras par chez nous. Mais, là, c'est scientifiquement du foutage de gueule. Les flics démarrent leur sprint à la rue du Maupas pour atterrir à la rue Centrale. Avez-vous déjà vu un représentant vaudois des forces de l'ordre à grandes enjambées pendant... dix grosses minutes?
Les visages sont floutés, la musique est angoissante. Arrestation d'un narcotrafiquant? Hold-up au Credit Suisse? Attaque à la bombe à la pinte Besson? Que dalle. Un jeune homme a déposé un crachat sur le trottoir et c'est formellement verboten.
Comme dans toute bonne bande-annonce criarde supervisée par Bernard de La Villardière, on passe du coq à l'âne et de la bave au... flingue. Nous sommes désormais dans l'appartement d'un couple, la cinquantaine sympathique et conservatrice.
Derrière monsieur, une armoire. Dans l'armoire, des classeurs administratifs et une flopée de fusils. Le journaliste français ose une approche romantique:
«C'est une histoire d'amour un peu non?»
Soudain, nous voilà criblés de doutes: Serait-on en réalité dans un numéro de Confessions intimes? Non: Dans la foulée, on touche la corde sensible, chère à l'émission de M6. Des adolescents qui manient des armes, le regard menaçant. La voix off évoque les Etats-Unis et les tueries de masse.
Ouf, on était quand même à deux fourchettes à fondue de passer pour des gros bourrins qui dégomment des cibles et des cerfs tous les dimanches.
La transition est d'ailleurs toute trouvée pour clore cet objet filmé non identifié: nos très chers bunkers et, bien sûr, notre armée composée de milliers de soldats non professionnels, comme «cet employé de la grande distribution aux commandes d'un tank de plusieurs millions d'euros».
Bref, loin de nous l'envie de vous commander, mais, pour rire un bon coup avant les obsèques de la reine, on ne peut que vous intimer de déguster Enquêtes exclusives dimanche soir.