Pour de nombreux Genevois, rien d'anormal à chercher un domicile de l'autre côté de la frontière et à faire ensuite la navette depuis la France pour aller travailler à Genève. Cette tendance à déménager à l'étranger tout en gardant son lieu de travail en Suisse se dessine désormais aussi dans le sud du pays, même si elle reste faible. C'est ce que montre une étude de l'Office tessinois de la statistique (Ustat), publiée récemment sous le titre «Vivere or lavorare in Ticino?» («Vivre ou travailler au Tessin?»).
Il en ressort que les travailleurs établis au Tessin sont désormais plus nombreux à s'installer dans les régions frontalières italiennes que les anciens frontaliers italiens à élire domicile au Tessin.
Le phénomène concerne principalement les étrangers ou les Italiens établis au Tessin. L'étude a porté sur les mouvements migratoires entre 2013 et 2019, mais de récents articles de presse locale dans le sud de la Suisse attestent également de cette tendance.
Le nombre sans cesse croissant de frontaliers se rendant d'Italie au Tessin pour y travailler en dit long. En 2022, ils étaient plus de 77 000. Un emploi sur trois au Tessin est occupé par une personne résidant en Italie et faisant la navette pour aller travailler. Outre les emplois classiques dans l'industrie et la santé, on trouve de plus en plus de frontaliers dans le secteur tertiaire et la formation.
Comment expliquer cette évolution?
Les auteurs de l'étude indiquent qu'une personne établie au Tessin peut améliorer considérablement sa propre situation financière en adoptant le statut de frontalier. Dans un reportage de la télévision italophone RSI, une femme de Bellinzona-Arbedo a expliqué que son déménagement en Italie lui a permis pour la première fois d'économiser de l'argent.
La charge fiscale est en effet assez faible, même si elle va augmenter à l'avenir en raison du nouvel accord sur l'imposition des frontaliers entre la Suisse et l'Italie. Mais surtout, l'évolution des cours de ces dernières années a joué en faveur des frontaliers. En 2010, un franc valait 70 centimes d'euro, alors qu'aujourd'hui les monnaies sont à parité. Le pouvoir d'achat a augmenté de 40 à 50% pour les frontaliers.
A cela s'ajoute le fait que l'Italie connaît un système de santé public, alors qu'en Suisse, les primes d'assurance maladie sont obligatoires et absorbent une bonne partie du revenu. Le prix de l'immobilier est également beaucoup plus élevé au Tessin que dans les régions frontalières italiennes.
Le vent a peut-être tourné, comme le montrent également les administrations communales des communes italiennes voisines. La ville de Varese a récemment lancé une campagne intitulée «Lavoro in Svizzera, ma vivo a Varese» («Je travaille en Suisse, mais je vis à Varese») pour inciter à s'installer à Varese.
La publicité vise les travailleurs établis au Tessin qui souhaitent devenir frontaliers.
Les arguments avancés sont la proximité du Tessin (à seulement 8 km de la frontière), une bonne offre culturelle, la proximité ferroviaire de Milan et de Lugano, mais aussi une crèche gratuite ainsi que la possibilité d'acquérir un logement à des prix abordables – on parle même de «maisons de rêve».
Cette tendance est problématique du point de vue tessinois, car après des années de boom, la population du canton du sud est sur le déclin depuis 2016 et ne s'est stabilisée que depuis 2020. Or, un recul des personnes établies signifie moins de recettes fiscales et moins de vie dans les communes.
L'ancien maire PLR de Chiasso, Moreno Colombo, se montre inquiet. Selon ses propres dires, il a également constaté dans son entourage immédiat que la tendance est de plus en plus prégnante:
Il a d'ailleurs lancé en décembre 2022 une pétition adressée au Conseil d'État et au Grand Conseil. Il y demande que cette évolution soit examinée de près et que des mesures soient prises si nécessaire.
Ivano D'Andrea, économiste et chef de la société fiduciaire et immobilière tessinoise Multi, a déjà demandé à plusieurs reprises, au nom du think tank «Coscienza Svizzera», la mise en place d'un «délégué à la domiciliation» sur le modèle du canton de Neuchâtel. Mais le gouvernement tessinois n'est jamais entré en matière.
Traduit et adapté de l'allemand par Tanja Maeder