Vincent* ne mâche pas ses mots. «Je suis très remonté», lance-t-il. Cela fait plusieurs mois qu'il a perdu son travail et, depuis le printemps, il est inscrit auprès d'un office régional de placement (ORP) dans le canton de Vaud.
Pourtant, les choses avaient plutôt bien commencé. «Lors des premiers échanges, ma conseillère était très enthousiaste», se remémore-t-il. Au fil des mois, il réalise que «son apport est très limité». «Tu es là, tu parles de tes problèmes, mais, finalement, tu vois qu'elle ne peut pas t'amener grand-chose».
Monica partage le même avis. «Honnêtement, je pense que mon conseiller n'a été d'aucune utilité», estime cette Vaudoise, qui a récemment passé sept mois au chômage. «La seule chose qu'il faisait, c'était de me demander où j'en étais avec mes recherches et de me proposer des offres d'emploi, auxquelles j'avais déjà accès et que j'avais déjà vues». Elle l'assure:
Contactée, la Direction générale de l’emploi et du marché du travail du canton de Vaud (DGEM) rappelle que les ORP reçoivent plus de 25 000 demandeuses et demandeurs d’emploi chaque mois. «Parmi toutes ces personnes, nous pouvons imaginer que certaines soient mécontentes». Et de souligner que, selon la dernière enquête du Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco), 80% des demandeurs d’emploi étaient satisfaits des prestations de l’ORP.
Margaux fait partie de cette catégorie. Si elle affirme aujourd'hui avoir eu «une bonne expérience», c'est surtout grâce à sa conseillère. «Je suis vraiment tombée sur quelqu'un de bien», se remémore-t-elle. «Elle était très professionnelle et très bienveillante en même temps, et ne m'a jamais infantilisée».
«A aucun moment, elle ne m'a forcée à retrouver vite un travail», poursuit la jeune vaudoise. «Ça m'a fait comprendre que je ne devais pas le faire pour que l'Etat arrête de m'embêter, mais pour moi.»
Cette «relation de confiance», Marie ne l'a pas vécue:
Même des années après cette expérience, Marie estime que la façon de communiquer de sa conseillère était «totalement inappropriée». «Cela a clairement affecté ma confiance et mon estime en moi», poursuit la trentenaire.
«Le personnel est sensible au fait que des personnes qui s’adressent à l’ORP ne sont pas dans des situations faciles et que la perte d’un emploi constitue un immense bouleversement dans la vie d’une personne», déclare la DGEM. «Nous en sommes parfaitement conscients».
Marie estime en effet que le chômage n'est pas une expérience facile. «Pour moi, ça a été très dur», confie-t-elle. «Pendant cette période, tu es beaucoup seul. C'est comme si ce que tu faisais ne servait à rien. C'était compliqué de se donner de la valeur, y compris aux yeux des autres». Monica évoque des sensations similaires.
Au bout de cinq mois, son conseiller l'a inscrite à un cours appelé «techniques de recherche d'emploi». Au menu: apprendre à rédiger un CV et une lettre de motivation, simuler des entretiens d'embauche. «Ces cours permettent aux candidates et candidats de maîtriser les codes en vigueur, lesquels évoluent et ne sont peut-être plus les mêmes que lors d’une précédente recherche d’emploi. Les cours actuels tiennent, par exemple, compte de l’influence de l’intelligence artificielle dans les recherches d’emploi», indique la DGEM.
Pour Monica, en tout cas, cette formation était «totalement inutile». «Le cours s'adressait à un public extrêmement large, sans aucune distinction», raconte-t-elle. On y trouvait aussi bien des assureurs que des masseuses, des juristes et des acteurs. «C'est impossible de donner des conseils de recherche d'emploi à des profils aussi diversifiés», commente-t-elle.
Résultat: «Les formateurs dispensaient des conseils hyper généraux qui n'étaient pas applicables dans la pratique», déplore la jeune femme, qui affirme avoir trouvé ça «assez naïf». «A titre d'exemple, on nous a proposé de ne pas chercher des offres uniquement sur internet, mais d'en parler autour de nous et de demander à nos proches».
«Je ne vois pas à quel moment ça peut être un bon conseil», continue Monica. «Tout cela témoigne à mon avis d'une méconnaissance du monde du travail».
Vincent a également participé à un «cours de coaching» de ce type. «Je me suis retrouvé dans une salle où il était impossible de respirer, avec quarante autres chômeurs», retrace-t-il. «La moitié d'entre eux étaient habillés comme s'ils allaient passer un entretien d'embauche, deux ont même fondu en larmes. C'était assez pathétique et décourageant».
Selon Vincent, le cours portait surtout sur l'empowerment. «Ça peut aider les personnes en détresse, mais, personnellement, je n'ai pas besoin qu'on me dise "c'est super, tu vas y arriver". C'est très infantilisant». «En fin de compte, c'était surtout du développement personnel, de la psychologie à deux balles», lui fait écho Monica.
La DGEM estime que ces cours «ont fait leurs preuves».
Margaux et Marie pensent également que le contenu de ces cours n'était pas intéressant pour elles. «C'étaient des choses que je savais déjà faire», résume Marie. «Au niveau social, toutefois, le cours a été très positif», nuance-t-elle.
Si cette première formation «n'a clairement servi à rien», Margaux raconte en avoir suivi une autre, qui lui a été «très utile»: un cours d'allemand. Marie et Vincent en ont également fait la demande, mais la réponse a été négative. Et ce, bien que «90% des offres qui m'intéressaient demandaient de parler allemand ou anglais», assure Marie.
«J'ai passé des tests et il s'est avéré que mon niveau était légèrement insuffisant», détaille Vincent. «J'ai B1 à l'écrit et A2 à l'oral, alors qu'il faut avoir B1 partout». L'homme estime que ces cours lui sont absolument nécessaires et qu'il lui faudrait très peu de temps pour atteindre le niveau requis. «La plupart des employeurs potentiels pour mon profil se situent en Suisse alémanique», fait-il valoir.
Vincent conteste le refus et affirme avoir initié une procédure. «Il me faut des mesures concrètes», dit-il. «Manifestement, l'autorité ne m'entend pas».
Sans s'exprimer sur des cas particuliers, la DGEM rappelle qu'il existe des critères pour bénéficier de ces cours. «Ces critères sont en lien direct avec l’amélioration de l’employabilité de la personne et sa reprise rapide d’un emploi», poursuit-elle. Et d'ajouter: «Les ORP ne peuvent pas proposer des mesures ou des cours qui répondraient principalement à des aspirations individuelles».
La DGEM rappelle également que plus de 100 mesures différentes sont proposées. Chaque mois, plus de 6500 personnes bénéficient d’une de ces mesures dans le canton de Vaud.
Lorsque Monica a été inscrite au cours, elle raconte avoir reçu une injonction à la maison. «Immédiatement, le ton est très menaçant», se souvient-elle. «On nous prévient que, si on ne se présente pas, il y aura des sanctions. Que, si on arrive plus de dix minutes en retard, notre conseiller sera informé».
La jeune femme n'hésite pas à parler d'un «climat de suspicion permanente qui n'aide pas du tout à avancer». «On part du principe que tu es paresseux et que tu dois être encadré», dénonce-t-elle.
«Il faut se justifier en permanence, sans qu'il n'y ait aucune aide concrète en parallèle. Au final, tu es laissé à ton compte et constamment menacé. C'est pesant et lourd à gérer», ajoute-t-elle. Un sentiment en partie partagé par Marie. «J'avais l'impression que c'était la police», raconte-t-elle au sujet des échanges avec sa conseillère.
«Nous tenons à rappeler que les conditions auxquelles sont soumises les personnes inscrites auprès d’un ORP sont encadrées par la loi sur l’assurance chômage (LACI)», note la DGEM, qui affirme appliquer les objectifs fixés par cette loi. «Ce cadre légal peut être à l’origine de ces insatisfactions», poursuit-elle. «En effet, les règles de l’Assurance Chômage peuvent être perçues par certaines personnes comme contraignantes».
Pour Monica, ces «menaces» n'ont pas lieu d'être. «Cette position n'est vraiment pas enviable, et l'image du chômeur paresseux qui veut rester au chômage est un mythe», argumente-t-elle.
*Certains prénoms ont été changés.