Géraldine a 17 ans quand elle apprend qu'elle ne pourra pas avoir d'enfants. «On m'a diagnostiqué un syndrome MRKH, une malformation qui fait que je n'ai pas d’utérus», raconte-t-elle aujourd'hui. Elle était célibataire à l'époque, mais, lorsqu'elle se met en couple avec Philippe, elle l'informe assez vite de la situation. «Je voulais qu'il soit au courant et qu'il puisse prendre sa décision». Philippe est resté et est devenu son mari, quelques années plus tard.
Entre-temps, le couple commence à chercher des solutions lui permettant d'avoir des enfants. Il n'y en a que deux. «L'adoption nous a paru tout de suite très compliquée», raconte Géraldine. En effet, à l'époque, il fallait être marié depuis au moins cinq ans, ou être âgé de 35 ans au minimum.
«Il fallait donc chercher autre chose, et c'est là que nous sommes tombés sur la gestation pour autrui», poursuit-elle. Problème: la pratique n'est pas autorisée en Suisse, ni dans la plupart des pays européens. Le couple découvre pourtant une association française et, en 2013, se rend à Paris pour assister à son assemblée générale. «Une fois sur place, nous avons rencontré, par l'intermédiaire de son interprète, une médecin américaine active dans ce domaine».
Elle est Californienne. Leur choix se porte donc naturellement sur cet Etat. Car, avant d'aller à Paris, le couple s'est renseigné, et sait qu'il veut se tourner vers les Etats-Unis ou le Canada. «Les options géographiquement les plus proches présentaient toutes des problèmes», indique Philippe. «Il restait l'Ukraine, qui était éthiquement non envisageable». «J'avais envie d'avoir des enfants, mais pas n'importe comment», lui fait écho sa femme.
Les Etats-Unis et le Canada présentent un autre avantage non négligeable: le droit du sol. Tout enfant qui naît sur leur territoire reçoit automatiquement la nationalité américaine ou canadienne. «Nous savions que la GPA était interdite en Suisse, mais nous ne savions pas très bien comment les choses allaient se passer au niveau légal», raconte Géraldine. «Nous voulions être sûrs que l'enfant ait des papiers afin que l’on puisse revenir en Suisse».
En Californie, la gestation pour autrui est extrêmement réglementée, racontent Géraldine et Philippe. La procédure est très encadrée et implique de nombreux acteurs, en plus de la clinique où travaille la médecin. Comme Géraldine ne peut pas utiliser ses ovocytes, le couple doit faire appel à une donneuse, trouvée par le biais d'une agence spécialisée.
«Il ne faut pas croire qu'on choisit dans un catalogue», se remémore Géraldine. «J'ai envoyé trois photos de moi. L'agence a regardé parmi ses profils et nous en a envoyé un». Géraldine et Philippe approuvent la proposition, mais décident de ne pas rencontrer la femme, personne n'ayant exprimé le souhait de se voir.
Les choses se passent différemment avec la mère porteuse, que le couple choisit par l'intermédiaire d'une autre agence. «Nous avons rencontré en personne une candidate. Son dossier nous avait plu, et elle avait apprécié le nôtre», retrace Géraldine, qui souligne que, encore une fois, il ne s'agit pas d'un «gros catalogue». Après la rencontre, toutes les parties expriment leur volonté de poursuivre, chacun de manière indépendante. C'est ce qu'on appelle un match. La candidate passe des examens médicaux, et la procédure peut commencer.
C'est le mois de janvier 2014. Le couple ne revient sur place qu'une année plus tard, à l'occasion de la naissance.
En attendant, il a fallu s'organiser. Car, en Californie, la procédure prévoit que chaque partie soit représentée par un avocat. Géraldine et Philippe prennent donc contact avec un cabinet, qui s'occupe de préparer les documents nécessaires («de gros contrats qui règlent tous les aspects de la procédure»). Les avocats envoient également la documentation à un tribunal, chargé de reconnaître Géraldine et Philippe comme les parents de l'enfant. Ce qui leur permet de demander un passeport américain et un certificat de naissance où leur nom apparaît, et pas celui de la mère porteuse.
Bien que tous les documents soient en règle, le retour en Suisse suscite quelques préoccupations chez les jeunes parents: «Ça m'a fait beaucoup stresser», confie Géraldine.
Des inquiétudes qui ne tardent pas à se révéler bien fondées, car la procédure prend beaucoup de temps. «Nous avons fait comme si j'avais accouché à l'étranger, mais il y a eu un jeu de ping-pong entre plusieurs instances», explique Géraldine. Les différents Etats civils se renvoient la balle, et c'est finalement le canton d'origine de Philippe, Saint-Gall, qui finit par inscrire l'enfant.
Globalement, Géraldine et Philippe disent avoir vécu cette expérience «avec des hauts et des bas». Notamment à cause de la distance, «qui a été parfois compliquée à gérer».
Des inconvénients somme toute relatifs, car Géraldine et Philippe décident de répéter l'expérience deux fois, toujours avec la même médecin, mais avec une nouvelle donneuse et deux autres mères porteuses. Un deuxième enfant naît en 2017, suivi d'une troisième en 2022. Ces deux fois, tout se fait à distance, via Skype ou via mail. Les voyages n'ont lieu qu'à l'occasion des naissances.
S'ils connaissent déjà la procédure et les différents acteurs impliqués, Géraldine et Philippe constatent également que les choses se sont beaucoup complexifiées au fil du temps. Et les coûts ont pris l'ascenseur. «La première fois, nous avons dépensé entre 100 et 150 000 dollars, auxquels nous en avons ajouté entre 30 et 40 000 pour la donneuse», explique Géraldine.
Les mères porteuses ont touché une rémunération encadrée dans le contrat et dont le montant a été fixé par les avocats. «Concrètement, c'était entre 3000 et 4000 dollars par mois, jusqu'à la naissance», illustre Philippe. «Si c'est leur 2e ou 3e expérience de mère porteuse, c'est un peu plus cher.»
L'argent n'était pas leur motivation principale, selon leurs propres dires. «Elles avaient toutes plusieurs enfants, et avaient eu de belles grossesses. Elles disaient que, pour elles, il était important d'offrir cette chance à des couples qui ne pouvaient pas vivre ce qu'elles avaient vécu», indique Géraldine.
«La première adorait être enceinte», ajoute Philippe. «Elle a d'ailleurs été renvoyée par la médecin, car elle avait accouché en novembre et s'était présentée à la clinique un mois plus tard.» Concernant l'aspect financier, la première a raconté au couple qu'elle voulait continuer ses études, alors que la deuxième et la troisième souhaitaient prendre en charge une partie des études de leurs enfants.
Autre aspect réglé en avance: les relations avec les mères porteuses après la naissance des enfants. Si Géraldine et Philippe étaient tenus de garantir des contacts constants pendant la première année, les échanges ne se sont pas arrêtés là. Les envois d'images et de vidéos restent réguliers, bien que les mères porteuses n'aient pas des contacts directs avec les petits, principalement à cause de la barrière de la langue.
«Quand nous sommes revenus aux Etats-Unis pour la dernière, nous les avons revues», raconte Géraldine.
«Les enfants savent qu'elles existent, ils ont des photos d'elles dans leur chambre», poursuit leur mère. «On en parle, elles sont importantes, mais ce n'est pas leur famille. Elles représentent un bout de leur histoire et font partie de leur vie, sans pourtant prendre toute la place.»
Le couple raconte avoir informé les enfants «tout de suite». «Quand ils étaient petits, nous avons inventé une petite histoire, un peu romancée, pour leur expliquer comment ils étaient nés», se remémore Géraldine.
Leur entourage a été également mis au courant: de l'école enfantine aux collègues, en passant par la famille et les amis. «Nous avons toujours tout raconté», résume Philippe. Et d'assurer: «Les gens sont plutôt intéressés de savoir.» «Je n'ai jamais eu de réactions négatives», complète sa femme.
La réaction des autorités suisses a été moins réjouissante, notamment pour ce qui concerne la reconnaissance de la troisième enfant. «Je pense que les autorités sont devenues plus attentives au fil du temps, parce que le nombre de cas a augmenté», estime Géraldine.
Résultat: «L'Etat civil nous a demandé de fournir des preuves de la grossesse. Quand il s'est avéré que la petite était née d'une GPA, nous avons dû entamer des procédures plus complexes», raconte Philippe. Après avoir passé des tests, fait traduire des pages et des pages de documents et en avoir demandé de nouveaux, celui-ci a finalement été reconnu comme le père de l'enfant. Géraldine, en revanche, n'est toujours pas sa mère aux yeux de l'Etat - alors qu'elle aura bientôt trois ans.
Le couple a dû passer par une procédure d'adoption de l'enfant du conjoint. «Il s'agit d'un processus complexe qui passe par l’Etat civil, puis par la Direction générale de l'enfance et de la jeunesse (DGEJ)», explique Géraldine.
«Cela, je ne le vis pas très bien», réagit-elle. Et d'ajouter: «Je trouve qu’il y a une certaine hypocrisie de la part de la Suisse. Les autorités savent que ça se passe, mais n’en parlent pas. J’aimerais bien que ça bouge un peu. Je ne parle pas d’autoriser la pratique, mais au moins d’ouvrir le débat, comme la France a eu le mérite de le faire, par exemple.»
«Nous avons de la peine à comprendre», résume Philippe.
«C’est beaucoup d’effort et de procédures pour arriver finalement au même résultat: j'apparaîtrais finalement comme père, et Géraldine comme mère», conclut-il.
Car le couple en est sûr: «Le fait que cela soit plus contraignant au niveau administratif ne va pas décourager les gens», estime Géraldine. «Si on n’avait qu’un enfant et qu’on devait repartir, je repartirais demain.»