Le téléphone portable vrombit toutes les minutes. Pling. Peu après, de nouveau, pling. Karin Gerber est assise à la table de son appartement. Le menton appuyé sur une main, elle balaie agilement l'écran avec l'autre, ses ongles manucurés tapent en rythme sur le verre. Pling.
Ce sont des discussions sur Telegram. Un opposant au régime russe qui raconte sa journée. Un jeune Ukrainien qui écrit que l'état de sa mère s'est à nouveau aggravé. Des nouvelles dans une conversation de groupe sur les bombes qui ont frappé Kiev. Des informations sur la guerre qui surgissent dans un salon inondé de soleil dans le Seeland bernois.
Karin Gerber lève les yeux, écarte une mèche de cheveux blonds de son visage. Des yeux brillants de curiosité, des lèvres discrètement roses, une femme au rayonnement chaleureux. Et qui s'est lancée en février 2022 dans sa propre bataille. Elle raconte:
Elle s'est sentie impuissante, en état de choc et infiniment triste.
Depuis de nombreuses années, cette femme de 42 ans entretient des liens étroits avec le pays. Lorsque sa fille était encore petite, deux femmes au pair ukrainiennes ont vécu chacune pendant un an chez les Gerber.
Pendant les manifestations de Maïdan en 2013 et l'annexion de la Crimée en 2014, Gerber a vécu de près les troubles dans le pays de ses hôtes. Elle a passé des nuits entières à regarder la télévision avec elles, à écouter la radio, à consoler les jeunes femmes lorsque celles-ci étaient prises de terreur pour leurs proches.
C'est également à cette époque que Karin a été confrontée pour la première fois à la propagande russe. «Dans les films Youtube, il y avait des coupures publicitaires qui soutenaient que la Crimée avait toujours fait partie de la Russie. Sur Russia Today, de fausses informations étaient diffusées sans retenue. Cela m'a inquiétée. Et ça m'a vraiment mise en colère.» Le parcours professionnel de la Bernoise y est sans doute pour quelque chose. Elle est spécialiste en information et documentation, et donc une professionnelle lorsqu'il s'agit de vérifier les sources, de collecter, de conserver et de transmettre des informations.
Lorsque la Russie a lancé son attaque contre l'Ukraine, Karin Gerber a compris qu'elle ne pouvait pas rester chez elle sans rien faire. Elle a estimé que le plus important était désormais d'informer la population russe sur les agissements de son gouvernement. De déclarer la guerre à la machine de propagande de Poutine. «J'avais l'idée naïve que la population russe devait se révolter et que cela permettrait d'arrêter cette terrible guerre.» Pour la première fois de sa vie, elle a donc téléchargé une application de rencontre sur son téléphone portable.
Elle a vu l'idée sur les réseaux sociaux: elle a créé un profil sur Tinder, a ajouté des informations sur la guerre à sa description personnelle et a choisi la Russie comme lieu actuel. Et voilà comment le profil de Karin Gerber s'est affiché sur les écrans des téléphones portables des Russes à la recherche d'un partenaire. En peu de temps, elle a reçu des centaines de demandes de messages. Beaucoup de personnes malveillantes et haineuses, mais aussi quelques personnes intéressées et sincèrement curieuses.
Mais en moins de 24 heures, son profil a été bloqué pour quelques jours. Peu de temps après avoir pu l'utiliser à nouveau, elle a été bloquée à nouveau. Cela s'est répété plusieurs fois. Parallèlement, elle a téléchargé une autre application de rencontre: Galaxy, la plate-forme de recherche de partenaires la plus populaire en Russie. C'est alors que tout a vraiment commencé. «Cette affaire a été incroyablement rapide, incroyablement réussie», dit la Bernoise en souriant malicieusement. Si bien qu'elle aurait presque eu besoin d'une équipe pour éplucher tous les messages et y répondre.
Pendant des mois, la spécialiste en information a exercé son travail d'animatrice à l'Armée du Salut pendant la journée et a chatté le soir avec des hommes et des femmes inconnus. Elle a toutefois rapidement constaté que le plan réel, qui consistait à faire sortir la propagande mensongère de la tête des Russes, ne fonctionnait pas.
Elle a commencé à se concentrer sur ceux qui étaient déjà critiques à l'égard du régime.
«Il y a par exemple ce jeune Biélorusse de 20 ans qui vit à Saint-Pétersbourg et qui aimerait participer aux manifestations, mais qui ne peut pas. S'ils l'attrapent, il sera expulsé vers son pays d'origine et disparaîtra probablement dans une cave.» Karin montre la photo d'un jeune homme, le regard perdu dans le lointain, les cheveux mi-longs ébouriffés et teintés d'orange et d'or par le coucher de soleil. Il lui aurait écrit qu'il collait des autocollants critiques dans toute la ville. C'était la seule chose qu'il pouvait faire.
Ou encore une jeune femme qui lui a écrit: «S'il te plaît, dis à tous tes amis en Suisse que tout le monde en Russie n'est pas pour la guerre.» La Bernoise lui a répondu: «Et toi, dis s'il te plaît à tous tes amis que tout le monde en Suisse ne déteste pas les Russes.» La jeune femme l'a alors remerciée et a dit que cela signifiait énormément pour elle que Karin écrive cela.
«Ou bien celui-là. Il a 22 ans, c'est encore un garçon», dit-elle en montrant le profil d'un jeune homme maigre à l'air sérieux. «Il a dû se battre sur le front et est maintenant rentré chez lui le temps d'une visite. Il déteste la guerre. C'est l'horreur. Il ne veut pas y retourner, il veut partir. Mais il ne sait pas comment faire.»
Au cours des derniers mois, elle a chatté avec des centaines de personnes. Avec des déserteurs russes, des femmes dont les proches ont été tués pendant la guerre, des hommes qui ont été appelés peu après par l'armée pour la mobilisation. Mais aussi avec des Ukrainiens et des Ukrainiennes. Karin Gerber est depuis quelques mois en contact étroit avec un jeune homme de Kiev. Il ne combat pas activement, mais apporte une aide humanitaire à la population civile et effectue des travaux logistiques. «Il m'a écrit pour me raconter sa vie dans une ville assiégée et s'est réjoui d'avoir un contact en dehors de son monde», explique Karin.
Lorsque les combats devant Kiev sont devenus particulièrement violents, il lui a demandé si elle pouvait accueillir sa mère en Suisse. Karin a accepté. Quelques jours plus tard, elle est allée chercher une femme de 52 ans, livide et désorientée, à la gare. Celle-ci avait passé les deux derniers mois dans un abri antiaérien. Même si elle ne parlait pas un mot d'anglais, les deux femmes se sont comprises. Et se sont rapidement attachées l'une à l'autre.
Mais le mal du pays était trop fort. La mère est retournée en Ukraine au bout de trois mois. Et pour Karin Gerber, la lutte contre le régime de Poutine s'est à nouveau déplacée dans le monde virtuel. «Mais je me suis rendu compte qu'il fallait que je ralentisse», dit-elle. Pendant un certain temps, elle a mal dormi et n'a plus pu manger. Pour sa fille aussi, c'était pesant, car elle entendait beaucoup de ces histoires sombres dans le téléphone portable de Karin. Aujourd'hui, elle ne passe plus que rarement du temps sur les applications de rencontre, mais échange régulièrement via Telegram avec les nombreuses personnes qu'elle a rencontrées.
Karin ne peut pas aider ces personnes, elle le sait. Elle ne peut pas les aider à fuir le pays. Elle ne peut pas prendre les coups de la police pour eux lors des manifestations contre la guerre. Elle ne peut même pas leur donner de l'espoir. Que l'on voit la lumière au bout du tunnel, que ce cauchemar est bientôt terminé. Ce serait un mensonge pur et simple. Mais elle peut donner du courage aux gens. Elle peut leur donner le sentiment d'être vus et entendus. De ne pas être seul. «Cela aide à lutter contre l'impuissance que ces gens ressentent. Et aussi contre la mienne», dit la Suissesse.
Pling. Un Russe de 34 ans, originaire de Saint-Pétersbourg, vient de lui écrire pour lui faire part de son intention de demander un visa humanitaire en Suisse. Karin regarde son téléphone et secoue la tête d'un air pensif. «Cela risque d'être très difficile», murmure-t-elle.
Plus tard, elle nous contacte par SMS et écrit: «Je me suis souvenue d'une autre chose concernant la question de savoir pourquoi je m'engage ainsi. En fait, c'est aussi la foi en la victoire de l'humanité. Je suis toujours émue de voir comment les gens sont solidaires avec l'Ukraine. Finalement, Poutine n'a pas atteint ses objectifs avec sa propagande ici en Occident. Malgré toutes les sombres perspectives, je crois que les actes individuels de certaines personnes feront la différence et que l'humanité l'emportera.»
Traduit et adapté de l'allemand par Tanja Maeder