En septembre dernier, la CUAE, le syndicat étudiant de l’Université de Genève (Unige), proche de l’extrême gauche, était menacé de dissolution par le rectorat. Ce dernier lui reprochait deux passages de son agenda 2024-2025, contraires à la charte d’éthique et de déontologie de l’Unige, affirmait la direction universitaire, qui interdisait sa diffusion. La Cicad, la Coordination intercommunautaire contre l'antisémitisme et la diffamation, avait précédemment fait part de sa réprobation.
Paru dans le contexte de la guerre à Gaza, l’agenda reproduisait le slogan controversé «From the River to the Sea» (la Palestine sera libre de la rivière Jourdain à la mer Méditerranée), généralement compris comme la disparition de l'Etat d'Israël. Mais, surtout, l’agenda mentionnait, sans aucun commentaire, le triple détournement d’avion du 6 septembre 1970 perpétré par le FPLP, le Front populaire de libération de la Palestine. Or, à cette occasion, les passagers juifs, indépendamment de leur appartenance nationale, avaient été triés par les preneurs d’otages en raison de leur judéité réelle ou supposée. Un acte antisémite caractérisé.
Pour l’élaboration et l’impression de son «traditionnel agenda», édition 2024-2025, la CUAE avait reçu à l'époque une subvention de 30'046 francs. Une somme accordée par la Commission de gestion des taxes fixes de l’Unige (CGTF), un organe qui décide de l’attribution des subventions aux associations étudiantes et qui ne dépend pas du rectorat mais de l’Assemblée de l’Université (AU), le «parlement» de l’Unige représentant les corps enseignant, estudiantin, administratif et technique. Cette année, à la suite d'élections, les 10 membres étudiants de l’AU sont issus, pour cinq d'entre eux, de la CPE, la Coordination étudiante pour la Palestine, et d'une liste dite «des associations» pour les cinq autres.
Le 24 mars 2025, la CGTF réunie en séance ordinaire a décidé d’accorder 30'203 francs à la CUAE pour son agenda 2025-2026, décrit par la CGTF comme «un élément incontournable de l'université de Genève». Il devrait paraître peu avant la rentrée universitaire d’octobre.
Nouveauté: dans son procès-verbal, la CGTF écrit qu’il lui «semble pertinent de mettre en place deux pages dans l'agenda-guide pour contextualiser le flipbook et le choix des dates politiques» (un flipbook, folioscope en français, crée l'illusion du mouvement continu en affichant une série d'images discontinues et successives).
La CGTF précise en outre:
Un flou demeure sur la notion de «responsabilité». Début mai, nous avons demandé au service de communication de l’Unige ce que cela signifie en termes juridiques ou pratiques. Nous n’avons pas obtenu de réponse claire.
Le procès-verbal signale que «la CUAE s’engage à suivre la charte d’éthique et de déontologie de l’Unige».
La CGTF indique dans ce même procès-verbal avoir donc pris la décision d’accorder la trentaine de milliers de francs demandée, «au vu des changements opérés par la CUAE (à la suite de la publication controversée de son précédent agenda)». Menacé par le rectorat de ne plus être reconnu, le syndicat étudiant avait consenti à insérer dans tous les exemplaires de son agenda un QR-code explicitant les «mentions problématiques» qu'étaient le slogan «From the River to the Sea» et le triple détournement d'avion dans lequel les passagers juifs avaient été comptés à part. Le rectorat s’était satisfait de cette retouche et, le 27 novembre 2024, il autorisait «la distribution de l’agenda-guide».
Nous avons adressé lundi 2 juin en fin d’après-midi un e-mail à la CUAE pour lui demander, d'une part, si, comme souhaité par la Commission de gestion des taxes fixes de l’Unige, elle allait replacer dans leur contexte les «dates politiques» de son futur agenda, et, d'autre part, ce qu’elle comprenait de la notion de responsabilité, le rectorat ne s’en reconnaissant aucune dans le cas d'espèce. Au moment de la parution du présent article, nous n’avions pas reçu de réponse.
La publication de l’agenda 2025-2026 de la CUAE aura lieu, comme l’an dernier, dans l’actualité de la guerre à Gaza, mais dans un moment bien plus dramatique encore, la population de l’enclave palestinienne étant à bout de forces et sous la menace d’un nettoyage ethnique.
Le service de communication de l’Unige précise qu’il ne dispose d'aucun droit de regard sur l’agenda avant parution et réitère son attachement à la liberté d’expression, tout en rappelant les limites fixées par la charte d’éthique et de déontologie de l’Unige. Politisée, la CUAE bénéficie de son statut de syndicat officiel de la communauté étudiante.