Comme dans un conte de fées, un bloc majestueux de 7x 4x4 mètres sommeille au cœur de la forêt de Pleer, dans le canton de Berne. Recouvert en grande partie de mousse et de lichen, entouré de ronces, il patiente là sagement depuis près de 20 000 ans.
Dans les zones dégagées, on distingue des nuances minérales de blanc, de vert et de noir. «Monument naturel - bloc erratique - protégé par l'Etat», indique une inscription gravée dans la roche.
Jürg Meyer, 71 ans, géologue, auteur de livres spécialisés et guide d'excursions, affirme:
Avec ses couleurs, ses motifs et ses structures, elle présente une diversité incroyable et rare.
Le travail de l'enthousiaste scientifique fournit en outre des informations importantes sur la formation des Alpes.
Tout a commencé il y a environ 165 millions d'années, avec la fusion de roches à 1200 degrés dans une chambre magmatique située à plusieurs kilomètres de profondeur. Celle-ci se trouvait à la périphérie du microcontinent Adriatique, lui-même alors au large de l'Afrique. La masse fondue s'y est lentement cristallisée en une roche profonde appelée gabbro.
Du feldspath blanc, de l'augite-pyroxène noire et de l'olivine verte constituaient les minéraux primaires. Plus tard, au moment de l'apparition des Alpes, la roche s'est enfoncée jusqu'à 80 kilomètres de profondeur avant de remonter jusqu'à son altitude actuelle.
Cela s'est accompagné de multiples recristallisations (métamorphoses) qui ont conduit à la diversité unique des minéraux, des couleurs et des structures de cette roche.
Il existe plusieurs types de gabbro, mais celui de l'Allalin provient exclusivement de l'Allalinhorn, en Valais. Jürg Meyer explique:
En 2,5 millions d'années, plus de quinze périodes de cette nature ont créé des mouvements de blocs erratiques et des galets de rivière. Ceux-ci se sont déplacés jusque loin sur le plateau. On peut par conséquent retracer les périodes glaciaires à l'aide du gabbro d'Allalin, qui sert de repère.
Il est dense, dur et résistant. Dans le Seeland bernois, les hommes de l'âge de pierre ont été attirés par ces roches venues d'ailleurs et qui ont fini leur course dans les champs. Ils ont massivement utilisé le gabbro d'Allalin pour la fabrication de haches.
Aujourd'hui, on l'apprécie de plus en plus en décoration et en bijouterie: amulettes, colliers, bagues, boucles d'oreilles et sculptures, les déclinaisons sont multiples.
Le plus grand bloc erratique de Berne se trouve à Finsterhennen, et on en trouve un autre encore plus grand à L'Abergement, au pied du Jura vaudois. Par ailleurs, le jardin des blocs erratiques près de la gare d'Ins dans le Seeland vaut le détour. Il rassemble des pièces provenant de l'Allalinhorn.
Et si l'on souhaite voir des gabbros magnifiquement disposés directement à Saas-Fee, il faut se rendre à la gare routière, où un écrin de verdure leur a été aménagé. La vue sur les 650 mètres de la face sud-est de l'Allalinhorn remporte néanmoins la palme, avec ses roches de gabbro d'Allalin à l'état pur.
(Adaptation en français: Valentine Zenker)