On a passé Noël avec Grand-père et ses hommes au front
A l'extrême est de l'Ukraine, Noël a un arrière-goût amer. Ce n'est pas le Grinch du film d'animation pour enfants qui lui a volé la vedette, mais plutôt les centaines de milliers d'envahisseurs russes qui, depuis quatre ans, imposent aux civils et aux soldats ukrainiens des cadeaux d'un autre genre.
De nombreux combattants sont désormais loin de leurs familles et n'ont que peu de moments de distraction. Pour eux et pour les millions d'Ukrainiens qui souffrent de la perte de proches ou de leurs maisons et appartements, ainsi que des coupures d'électricité et des alertes aériennes, Noël leur a bel et bien été volé.
Plongée proche de la zone mortelle
La route vers le front passe par des tunnels grillagés destinés à protéger des drones. On y voit des véhicules calcinés, des fragments d'explosifs et des vestiges de la vie des gens. Notre chauffeur, Volodymyr, nous explique sur le chemin:
Il a la vingtaine et a rejoint les marines en 2022. Depuis lors, il a vécu de nombreux combats. Il sait interpréter les signes et les traces de la guerre.
Au lieu d'un front clairement défini, il existe désormais une zone mortelle. Il s'agit d'une zone contrôlée par des drones kamikazes qui s'étend sur dix kilomètres de part et d'autre de la ligne de front principale. Chaque mouvement est surveillé depuis les airs, ce qui entrave considérablement le ravitaillement et la rotation des troupes. Malgré tout, les marines continuent de tenir leurs positions.
Pendant les périodes de repos, les soldats vivent temporairement dans des villes et des villages situés non loin de la zone mortelle. Nous rendons visite à des soldats de la 36e brigade marine. Un poêle ancien mais solide chauffe toute la maison. Des sacs militaires, des gilets pare-balles, des uniformes et des drapeaux de la brigade sont accrochés aux murs.
Les chiens et les chats aident à oublier la guerre
Conformément à la coutume ukrainienne de Noël, le soldat le plus âgé est assis en bout de table. Il s'agit du sergent-chef Michailo Stelmah, âgé de 59 ans. Son surnom est «Grand-père» et s'il avait une barbe, il ressemblerait au Père Noël. «Le Seigneur est né. Louons-le», dit Grand-père avant de poursuivre:
La kutia est un plat traditionnel ukrainien de Noël à base de grains de blé, de graines de pavot et de miel.
Ce n'est pas un repas familial normal, ponctué de rires, de discussions sur les coiffures, les soldes dans les grands magasins, les derniers modèles de voitures ou la hausse des impôts. Les marines parlent de leurs missions ou des projectiles passés à quelques centimètres de leurs organes vitaux.
Les histoires qui se rapprochent le plus de la vie normale parlent d'animaux sauvages: hérissons, lapins, souris et chats, cachés près de leurs positions dans la forêt. On les aurait parfois confondus avec des ennemis, entendons-nous dire. Dans de nombreux bunkers souterrains, les soldats ont adopté des animaux domestiques, principalement des chats ou des chiens errants. Lorsque ceux-ci se blottissent contre les humains ou se font caresser, on oublie tout le reste le temps d'un instant.
Les cuisiniers ont travaillé dur pour préparer du bortsch (une soupe à la betterave), des pampouchki (de petits pains traditionnels à l'ail), des pâtes farcies à la purée de pommes de terre, du chou braisé et du salo (une sorte de lard). Mais il n'y a ni alcool ni cadeaux. Les hommes doivent garder l'esprit clair.
Demain, ils retourneront au front, là où il n'y a pas de jours fériés. Les marines défendent la ville de Kostiantinivka et les voies d'approvisionnement qui y mènent. Il s'agit actuellement de l'une des zones les plus dangereuses.
Tenir bon, pour protéger le reste du pays
Le commandant de bataillon, âgé de 39 ans, dont le nom de guerre est Prométhée, déclare:
Pour les marines, cette fête permet de se relier au monde extérieur, et de lui rappeler, en particulier à l'Occident, que les Ukrainiens tiennent bon sur le front pour que d'autres passent de belles fêtes.
Pour Michailo Bodnar, un lieutenant de 34 ans:
Nous voilà assis avec les marines, des gens qui, sans la guerre, mèneraient une vie insouciante.
En discutant avec eux, on se rend compte qu'ils ont vu des choses inimaginables. Et pourtant, ils restent là, prêts à repartir au combat. La vie continue près du front, malgré toutes les tentatives pour l'annihiler. Et tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir.
(Adaptation en français: Valentine Zenker)
