Les déboires militaires s'accumulent en Suisse. Vivement critiquée dernièrement pour sa gestion de nombreux grands projets, au premier rang desquels l'achat de drones israéliens défaillants, l'armée voit de nouvelles révélations aggraver la crise de confiance dans laquelle elle est embourbée.
Aujourd'hui, c'est le projet C2Air, censé moderniser la surveillance de l’espace aérien militaire suisse, qui se retrouve sous le feu des projecteurs. Ce dernier fait l'objet de tensions depuis plusieurs mois en raison d'une accumulation de retard et d'un dépassement budgétaire de plus de 150 millions de francs.
Selon la SRF, le chef de l'armée Thomas Süssli avait mandaté, début 2024, le cabinet de conseil KPMG pour un accompagnement externe en «gestion des risques et de la qualité» et ainsi faire face à cette situation critique. En vertu de la loi sur la transparence, le média alémanique avait demandé, en octobre dernier, à consulter les rapports émis par ce cabinet.
Le service de presse de l'armée n'a transmis qu'un seul document deux mois plus tard. Celui-ci porte sur l'état du projet au quatrième trimestre. Au nom de la «sécurité intérieure et extérieure», il comporte plusieurs passages caviardés.
La SRF s'est alors rendu compte que les mentions d’un précédent rapport, rédigé trois mois plus tôt, ont notamment été supprimées. Un document qui a donc été sciemment caché au média et dont même les commissions du Parlement n'ont jamais pris connaissance.
La SRF a fini par mettre la main sur ledit rapport. Les experts informatiques mandatés s'y montrent on ne peut plus critiques. Ils y parlent d'un projet «tout bonnement irréalisable».
Ils épinglent notamment Thomas Süssli et sa décision d'intégrer impérativement, d'ici à 2029, le nouveau système français de surveillance de l'espace aérien Skyview à la nouvelle plateforme de numérisation de l'armée.
Censé remplacer l'actuel Florako, devenu obsolète, son exploitation a déjà pris des années de retard. En l'état, la volonté du chef de l'armée est jugée dans le rapport comme «complètement irréaliste» et celle-ci «doit être abandonnée».
Mais en novembre dernier, Thomas Süssli a malgré tout décidé de maintenir le projet dans sa forme actuelle, sans changement.
Il semble dès lors que les personnes en charge du projet C2Air aient davantage pris en compte la directive de leur hiérarchie plutôt que les avertissements des spécialistes. Ces derniers l'écrivent d'ailleurs dans le document:
Une tendance qui pourrait s'avérer lourde de conséquences, la modernisation de la surveillance aérienne semblant gravement compromise. Les experts de KPMG estiment ainsi que le risque d'une panne complète ou partielle du système actuel est «très élevé».
Contactée par la SRF, l'armée minimise les conclusions de ce rapport. Elle indique notamment que les alternatives à la nouvelle plateforme de numérisation étaient trop «incertaines» et trop coûteuses et ont donc été écartées.
Le document ne semble d'ailleurs avoir que très peu de valeur aux yeux de la grande muette. «Il n’y a qu’un seul employé de KPMG qui assiste le chef de l’armée, a-t-elle expliqué à la SRF. Celui-ci a d’abord dû se familiariser avec ce programme complexe. Il a donc été convenu que seul le rapport du quatrième trimestre serait officiellement pris en compte». (jzs)