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Face à la Chine et aux USA, les 4 défis de la Suisse et l'Europe

Dans la tempête géopolitique, la voie bilatérale reste la seule option sérieuse pour la Suisse,
Roger Nordmann alerte sur l’importance de renforcer la voie bilatérale face aux tensions géopolitiques mondiales.Image: watson
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Face à la Chine et aux USA, 4 défis à relever par la Suisse et l'Europe

La pression chinoise, la volatilité américaine et la montée du populisme montrent l’urgence pour la Suisse et l'Europe de sécuriser leurs valeurs communes.
16.11.2025, 07:0416.11.2025, 07:04
Roger nordmann

On lit souvent que le destin du monde est dominé par la grande rivalité économique, militaire et géostratégique entre la Chine et les Etats-Unis. Récemment, cette rivalité a été présentée de la manière suivante: La Chine deviendrait un Etat électrotechnique, basant tout son système économique sur l'électricité grâce à ses batteries, ses microprocesseurs, ses panneaux solaires et son éolien (et accessoirement son nucléaire). Les Etats-Unis régresseraient en devenant un vulgaire état pétrolier (voir les graphiques en fin de texte).

Si le volet pétrolier de cette analyse reflète probablement le désir de Trump, il ne correspond heureusement pas tout à fait à la réalité: les émissions de CO₂ des Etats-Unis sont en baisse régulière depuis 2007. Et en ce qui concerne le développement de logiciels, d'intelligence artificielle et de microprocesseurs ultra-performants, les Etats-Unis sont toujours en tête.

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Chaque dimanche matin, watson invite des personnalités romandes à commenter l'actu ou, au contraire, à mettre en lumière un thème qui n'y est pas assez représenté. Au casting: Nicolas Feuz (écrivain), Anne Challandes (Union Suisse des Paysans), Roger Nordmann (conseiller stratégique, ex-PS), Damien Cottier (PLR), Céline Weber (Vert'Libéraux), Karin Perraudin (Groupe Mutuel, ex-PDC), Samuel Bendahan (PS), Claude Ansermoz (ex-rédacteur en chef de 24 Heures), Ivan Slatkine (président de la FER) et la loutre de QoQa.

En revanche, la dégradation de leur démocratie est inquiétante. La politique économique absurde de Trump pourrait, en outre, les amener à décrédibiliser le dollar et à perdre le privilège exorbitant de pouvoir emprunter quasiment autant qu'ils le désirent, et ce, quasiment gratuitement, auprès du reste du monde. Un privilège qui leur a permis d'asseoir leur domination économique mondiale depuis les accords de Bretton Woods.

Si la Chine a brillamment réussi sa transition industrielle grâce à une planification agressive, à un immense effort de formation, à des capitaux étatiques, à une concurrence effrénée et à du dumping commercial, elle souffre de sérieux autres problèmes, à commencer par la démographie. Après deux générations de politique de l'enfant unique, le nombre de naissances continue de s'effondrer. Sa population diminue très rapidement et, selon les prévisions démographiques, elle passera d'un pic de 1,45 milliard d'habitants en 2020 à 600 millions en 2100. Rien qu’au cours des 10 prochaines années, le nombre de personnes en âge de travailler diminuera de presque 100 millions!

Dans un régime réactionnaire et liberticide, la prospérité économique croissante ne convaincra pas les femmes d'avoir davantage d'enfants. L'innovation ne se limite pas à la technique. Il faut aussi de l'innovation sociétale pour rendre les êtres humains heureux, et surtout de la liberté. Une chose que le régime chinois n'est pas capable de fournir.

Entre ces deux colosses, qu’adviendra-t-il de l'Europe? Pourrait-elle se faire complètement broyer?

Fort heureusement, l'Europe a aussi des atouts spécifiques et un potentiel important. L'Union européenne, ses Etats membres et ses alliés proches, comme la Suisse ou la Norvège, disposent d'une culture démocratique solide, d'une population attachée à la liberté et d'un sens de la solidarité. Sa population est relativement bien formée et souvent plurilingue.

Sur le plan démographique, l'Europe dispose de deux atouts importants:

  • D'une part, sa natalité n'est pas aussi faible que celle de la Chine.
  • D'autre part, elle dispose d'une longue tradition d'intégration progressive de la migration.

Un atout dont la Chine ne dispose pas pour rajeunir sa population tant la barrière linguistique est très difficile à franchir.

Le cas de la Suisse montre de manière évidente la chance que représente le fait d'être une terre d'immigration: comme le démontre le démographe Manuel Buchmann dans 24 heures, si l'immigration s'arrêtait complètement en Suisse, sa population diminuerait de moitié d'ici à 2075!

L'Europe, tout comme la Suisse, a l'habitude de travailler avec des ressources naturelles et des espaces limités. L'Union européenne est à la pointe de la lutte contre le réchauffement climatique et progresse dans les domaines du recyclage des matériaux et de l'économie circulaire. Son économie est donc moins vulnérable face à l'épuisement des ressources naturelles. Elle s'est notamment déjà largement libérée des énergies fossiles, même s'il reste un long chemin à parcourir.

Les quatre défis à relever

Pour ne pas se faire broyer entre la Chine et les Etats-Unis, notre continent ne doit pas seulement se réjouir de ses atouts. Il me semble au contraire qu'il convient de relever plusieurs défis dès maintenant:

  • Le premier est de protéger son industrie contre le dumping chinois et de l'encourager à relever les défis de demain, y compris en les finançant. Un libre-échangisme naïf avec la Chine ne stimule pas l'innovation dans notre industrie, mais la détruit. En effet, cette dernière nécessite des investissements lourds et des délais longs. Cela force à un engagement à long terme, loin de la logique court-termiste de la «Share-holder value» qui a dominé l'ère néolibérale. Dans les grandes lignes, le rapport Draghi a tracé la voie.
  • Le deuxième défi, c’est de prendre davantage pied dans les solutions numériques à grande échelle et l'intelligence artificielle. Cela nécessite non seulement d'investir, mais aussi de protéger l'espace européen en posant des règles claires pour stopper la prédation de cet espace par les Gafams américains et leurs équivalents chinois.
  • La troisième défi, c’est, hélas, de renforcer efficacement ses propres capacités militaires défensives. Face à l'agressivité russe, soutenue par la logistique chinoise, il n'y a guère le choix, dans un contexte où les Etats-Unis perdent chaque jour en fiabilité.
  • Le quatrième défi, c'est de se protéger contre la vague populiste destructrice qui s’attaque à nos institutions et à notre culture démocratique, dans une fascination morbide pour les régimes autoritaires et les oligarques. Si cette vague toxique l’emporte, nous perdrions l'un de nos principaux atouts. Or, l’Europe est la cible permanente de campagnes sino-russes de déstabilisation informationnelle.
    La Suisse n’est pas plus à l’abri du populisme que le reste du continent. Il suffit d'observer la campagne pro-chinoise et anti-suisse menée par l'ancien président de la Confédération, Ueli Maurer, pour s'en convaincre. Ne s'est-il pas récemment pavané lors d'un défilé militaire à Pékin? Et n’a-t-il pas tout récemment expliqué, rapporte le Tages Anzeiger, qu'il était séduit par l'idée d'une sécession de la Suisse centrale et du Tessin?

Les défis sont donc substantiels, et la Suisse a tout intérêt à être à la pointe européenne pour les relever. Dans ce sens, la première chose à faire et de consolider la voie bilatérale, comme le propose le Conseil fédéral.

Les graphiques 👇

En 2024, le solaire et l’éolien représentent déjà 18,1% de la production électrique chinoise, en très forte croissance. Le nucléaire reste marginal (4,4%) et progresse beaucoup plus lentement.
Roger Nordmann est...

... conseiller stratégique et ancien président du Groupe socialiste aux chambres fédérales. Lausannois, il a publié trois livres sur le climat et l'énergie et était conseiller national PS pendant 20 ans.

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