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Nicolas Feuz dévoile ce que gagne un écrivain par livre

Né à Neuchâtel en 1971, Nicolas Feuz est procureur et l'auteur de 18 polars.
Né à Neuchâtel en 1971, Nicolas Feuz est procureur et l'auteur de 18 polars. montage watson
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Voici ce que gagne vraiment un écrivain en Suisse

Nicolas Feuz, écrivain romand à succès et procureur, répond à LA question que les lecteurs lui posent (quand ils osent).
15.06.2025, 07:0515.06.2025, 10:27
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«Un écrivain peut-il vivre de sa plume?»

Voici une question à laquelle les auteurs sont souvent confrontés, dans leur entourage, en salon, en séance de dédicaces ou, plus souvent, lors de rencontres en bibliothèque, en médiathèque ou dans des classes. La question tombe d’ailleurs assez systématiquement lors des rencontres scolaires, où les plus jeunes sont souvent plus décomplexés que les adultes. Et ça fait du bien d’en parler! A question directe, réponse franche mais nuancée.

On pourrait certes commencer par remettre en cause la question par deux contre-questions. Combien d’écrivain se servent-ils encore d’une plume pour écrire? Il s’agit bien entendu d’une image, d’une expression. Mais aussi et surtout: qu’est-ce qu’un écrivain? Si certains milieux élitistes aspirent, un peu pompeusement, à réserver ce statut imaginaire à une certaine littérature, quand passe-t-on d’auteur ou de romancier à écrivain? Question à vrai dire purement rhétorique et plutôt inintéressante, à laquelle seule ladite élite trouvera certainement une réponse, le plus souvent assez trouble et peu convaincante. Mais bref, passons... car tel n’est pas le sujet ici.

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Chaque dimanche matin, watson invite des personnalités romandes à commenter l'actu ou, au contraire, à mettre en lumière un thème qui n'y est pas assez représenté. Au casting: Nicolas Feuz (écrivain), Anne Challandes (Union Suisse des Paysans), Roger Nordmann (conseiller stratégique, ex-PS), Damien Cottier (PLR), Céline Weber (Vert'Libéraux), Karin Perraudin (Groupe Mutuel, ex-PDC), Samuel Bendahan (PS) et la loutre de Qoqa.

A la question de base, il m’arrive souvent de répondre par un parallèle avec d’autres milieux artistiques ou sportifs. Combien de musiciens rêvent-ils de toucher les royalties et les cachets d’une Rihanna ou d’un Johnny Hallyday? Combien de millions de footballeurs en herbe rêvent-ils d’une carrière professionnelle au Real Madrid, au PSG ou à l’Inter de Milan? À n’en pas douter, seul un pourcentage extrêmement faible y parviendra.

Cela dépend de pas mal de facteurs

En littérature, c’est pareil. Et ça ne dépend hélas pas seulement de la qualité littéraire des textes produits, loin, très loin de là. La puissance commerciale de l’éditeur joue un rôle, mais encore faudra-t-il qu’il accepte de prendre un risque financier en misant gros sur vous en termes de communication. Vous pouvez en effet entrer dans l’écurie d’un gros éditeur, mais s’il ne voit en vous que l’occasion d’étoffer son catalogue déjà bien fourni, vous ne jouerez que les faire-valoir et finirez tôt ou tard aux oubliettes.

La puissance commerciale du distributeur/diffuseur est également importante, mais si vous êtes noyé au sein d’un catalogue de 200 titres, encore faudra-t-il que votre représentant choisisse de vous pousser un peu plus que les 199 autres. Quant aux libraires, complètement noyés sous la masse de la surproduction littéraire des dernières années, ils n’auront que peu de chances de découvrir par eux-mêmes un primo-romancier.

Enfin, l’accès à la presse traditionnelle, qui demeure encore aujourd’hui plus prescriptrice que les réseaux sociaux, est devenu très compliqué, plus encore en France qu’en Suisse ou en Belgique, mais les émissions littéraires fondent un peu partout comme peau de chagrin.

Bref, le parcours de l’écrivain qui aspire à vivre de sa plume est celui d’un combattant au bord du désespoir.

Et comme on le dit souvent dans les milieux parisiens de l’édition, sauf si vous arrivez avec un livre qui fait le buzz, il faut généralement compter dix ans – et autant de parutions ou presque – pour «construire» un écrivain, sous-entendu lui permettre de vivre de sa plume plus ou moins décemment.

Et pour vivre de sa plume, il n’y a pas de miracle: il faut vendre des livres. Car la principale source de revenus d’un écrivain provient des droits d’auteurs. Mais à combien se montent-ils exactement?

Posez cette question à des écoliers et ils vous répondront, de manière un peu naïve mais sincère, que la totalité du prix du livre en librairie doit revenir à l’auteur. Quand vous leur rappelez que les libraires doivent vivre, eux aussi, et qu’ils ont des loyers et des charges salariales à assumer, lesdits élèves divisent le prix par deux. Et c’est alors que vous leur parlez des parts de l’éditeur, du fabriquant, du distributeur/diffuseur, des frais de transports, des frais de douane, de la TVA et j’en passe. Pour qu’il ne reste au final, à l’écrivain, qu’une moyenne de 10% du prix de son livre en librairie.

Ce que gagne un écrivain par livre vendu

Mais... parce qu’il y a des mais...

... si vous êtes édité par un éditeur suisse et que vos livres ne sont, comme la plupart du temps, disponibles qu’en Suisse, vous toucherez en moyenne 10% du prix suisse du livre: pour un grand format coûtant 30 francs, des droits d’auteur de 3 francs;

... si en revanche, vous êtes distribué par un grand groupe français, vous toucherez 10% du prix français de votre livre, peu importe que la majorité de vos livres se vendent en Suisse: pour un grand format vendu en Suisse 30 francs, comptez 20 euros en France, soit des droits d’auteur de 2 euros;

... puis appliquez-y le taux de change actuel et vos droits d’auteur seront réduits à 1,90 francs par grand format vendu.

Ensuite, il y a le format poche, avec une espérance de vie en librairie et en grandes surfaces commerciales nettement supérieure à celle du grand format, mais... Dans la tradition – ce n’est pas un automatisme, encore faut-il atteindre un certain chiffre de ventes – les livres parus en grand format sortent, généralement 12 à 18 mois plus tard, en format poche. Et les éditeurs «poche», souvent indépendants des éditeurs grand format, ne passent des contrats qu’avec ces derniers, en principe jamais avec l’auteur. En France, un livre de poche se vend en moyenne autour des 8 euros (contre 14 francs en Suisse). 80 centimes d'euros par livre sont donc reversés à l’éditeur grand format, qui conserve la moitié et reverse l’autre moitié à l’auteur.

L’écrivain touche donc en moyenne, sur un format poche, le 5% du prix français de son livre, soit 40 centimes (comprenez 37 centimes suisses par livre).

Un partage du même genre intervient avec l’illustrateur, si l’écrivain publie un livre contenant des illustrations, ce qui est souvent le cas dans l’univers des livres jeunesses. Sur la vente d’un livre jeunesse au prix suisse de 15 francs, l’auteur touchera en principe 75 centimes par exemplaire vendu.

Ce splitting des droits d’auteur, souvent à 50/50 entre l’éditeur grand format et l’écrivain, interviendra aussi en cas de cession de l’œuvre pour des traductions, des livres audio, des adaptations en BD, au cinéma ou à la télévision, au théâtre et j’en passe.

C'est possible, mais...

Alors oui! Bien sûr qu’un écrivain peut vivre de sa plume. Mais il lui faudra vendre des wagons de livres. S’il n’a que la Suisse romande comme terrain de jeu, soit environ deux millions d’habitants, il peut oublier son rêve. Même Joël Dicker ne pourrait pas vivre exclusivement de la vente de ses livres, s’il n’avait que la Suisse romande à disposition. L’écrivain devra compter au moins sur la France, la Belgique et le reste la Francophonie, voire des traductions.

En Suisse romande, on accorde le terme de bestseller à un livre qui s’écoule à 500 exemplaires. En France, c’est encore pire: les éditeurs dont un livre atteint les 2000 exemplaires vendus sont satisfaits. Pour un territoire 33 fois plus grand que la Suisse romande, c’est assez surprenant, mais la réalité du marché est ainsi faite. Elle ne répond pas toujours à des calculs mathématiques précis.

Et puis, il y a le coût de la vie. Un écrivain français pourra peut-être vivre de sa plume en gagnant 1500 euros par mois. En Suisse, à moins du triple ou du quadruple, c’est quasiment mission impossible.

Alors, beaucoup d’écrivains conservent un autre job en parallèle, ou complètent leurs droits d’auteur avec des rentrées d’argent provenant de leurs interventions dans des écoles, des bibliothèques et des médiathèques. En outre, ils toucheront au mieux quelques centaines de francs par année d'organismes chargés de répertorier les prêts de leurs livres en bibliothèque ou autres droits dérivés, mais ça ne reste au final que des peccadilles.

Et ils seront condamnés à quémander auprès de leur éditeur ou des organisateurs d’événements littéraires le remboursement de chaque centime dépensé en frais de déplacement, parce que la promotion des livres passe aussi par des dépenses souvent importantes pour la voiture (essence, péages, parkings, amortissement), en transports publics, hôtels et repas pris à l’extérieur.

En conclusion, la réponse est oui. Oui, un écrivain peut, à force de travail et de patience, vivre de sa plume... le plus souvent chichement... rarement très confortablement, sauf à atteindre miraculeusement les portes inaccessibles du Real Madrid de l’édition.

Les marges financières sont-elles supérieures en autoédition? On l’entend parfois et je ne saurais dire que c’est totalement faux, mais c’est aussi un miroir aux alouettes. J’en ai fait l’expérience et certains de mes premiers livres demeurent, encore aujourd’hui, dans cette catégorie. Mais je vous en parlerai dans une prochaine chronique.

Nicolas Feuz, procureur et écrivain, parle de ses livres et de ce qu'il gagne sur un livre
Image: Rosie&Wolfe
Nicolas Feuz est...
... avocat de formation. Juge d'instruction de 1999 à 2010, puis procureur du canton de Neuchâtel de 2011 à ce jour, avec une spécialisation dans la lutte contre le trafic de stupéfiants, il écrit parallèlement des romans policiers pour les adultes et pour la jeunesse depuis 2010.
Des enfants avec des lapins WTF
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