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Comment le maréchal Mannerheim est devenu un héros en Suisse

Der finnische Feldmarschall Carl Gustaf Emil Mannerheim, geht am 7. Mai 1943 in Zivil ueber die Quaibruecke in Zuerich, Schweiz. (KEYSTONE/PHOTOPRESS-ARCHIV/Str)
Carl Gustaf Mannerheim, un commandant en chef et leader unificateur. Photo prise en 1943 au cours d’un séjour en Suisse.Image: Keystone/PHOTOPRESS-ARCHIV

Comment un Romand d'adoption a mis l'armée russe en déroute

Le maréchal Carl Gustaf Mannerheim commanda les modestes forces armées finlandaises au cours de plusieurs conflits contre le géant soviétique. Son action lui valut une renommée considérable en Suisse.
04.01.2025, 06:56
Géraldine Lysser / musée national suisse
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Le 14 mai 1955, la stèle commémorative dédiée au maréchal finlandais Carl Gustaf Mannerheim est inaugurée à Territet, près de Montreux (VD). Le président du comité d’initiative n’est autre que le général Guisan, qui avait connu Mannerheim personnellement et appris les tactiques des Finlandais dans le cadre d’un échange d’officiers. Le maréchal était même admiré bien au-delà des cercles militaires et considéré comme un leader unificateur d’une nation finlandaise indépendante.

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Kranzniederlegungen anlaesslich des Staatsbesuchs des finnischen Ministerpraesidenten Esko Aho am Denkmal fuer Carl Gustaf Mannerheim, finnischer Feldmarschall und Staatsmann, aufgenommen am 2. Oktobe ...
Mémorial dédié au maréchal Carl Gustaf Mannerheim (1867–1951) à Territet, près de Montreux.Image: KEYSTONE

Un combat sanglant pour l’unification de la Finlande

En 1809, après 700 ans de domination suédoise, la Finlande devient un grand-duché autonome au sein de l’Empire russe. Le suédois reste la langue principale des classes supérieures, y compris chez les Mannerheim, une famille aristocrate aux origines néerlandaises. Carl Gustaf voit le jour en 1867. A 20 ans, il intègre l’école de cavalerie de Saint-Pétersbourg, marquant le début de trente ans de carrière dans l’armée du tsar. Il fait ses premières armes au cours de la guerre russo-japonaise de 1904-1905. Ses talents tactiques et opérationnels lui valent ensuite d’être placé à la tête d’une expédition de deux ans visant à explorer la zone frontalière entre la Russie et la Chine.

Mannerheim combat à nouveau dans l’armée du tsar pendant la Première Guerre mondiale. Son service interrompu par la révolution de février 1917, il retrouve sa patrie d’origine où la situation est tout aussi chaotique, le gouvernement finlandais ayant profité de cette occasion pour déclarer l’indépendance du pays. Parallèlement, Lénine suggère que la Finlande pourrait obtenir certains territoires en cas de prise de pouvoir des bolchéviques.

Une guerre civile opposant les «Rouges» bolchéviques aux «Blancs» fidèles au gouvernement éclate alors en Finlande. Mannerheim est nommé commandant en chef des Blancs. Les quatre mois de guerre civile, remportée par les «Blancs», sont d’une brutalité exceptionnelle. Faisant des milliers de morts dans les deux camps, elle laisse derrière elle une société profondément divisée, même après la fin des affrontements. Mannerheim se retire de la vie publique pour se consacrer notamment à des activités humanitaires. C’est au cours de cette période qu’il découvre la Suisse et séjourne souvent à Lausanne pour y profiter de la nature et subir des traitements médicaux:

«S’il existe un lieu sur la Terre dédié à l’oubli, au calme et au repos, c’est bien la Suisse, […] la beauté du paysage, mais surtout les montagnes, les Alpes qui donnent l’impression de flotter, dans l’atmosphère, au-dessus des nuages, entre la Terre et le Ciel.»
Mannerheim, dans une lettre de 1947.

«L’unité est la plus grande force d’un petit pays»

En 1932, la Finlande et l’Union soviétique signent un pacte de non-agression. Le danger immédiat semble ainsi écarté, malgré les demandes répétées de cessions territoriales de la part des Soviétiques. De retour au service actif et nommé commandant en chef de l’armée finlandaise, Mannerheim recommande à son gouvernement de se plier à ces exigences. Il estime en effet que son armée n’a pas les moyens de s’opposer à une attaque soviétique.

Le Pacte germano-soviétique de 1939 place la Finlande dans la sphère d’influence soviétique. Staline entame rapidement de nouvelles négociations afin d’obtenir des territoires, mais celles-ci se soldent par un échec. L’Union soviétique ne se considère dès lors plus liée par le pacte de non-agression conclu avec son voisin. A peine quelques jours plus tard, l’Armée rouge lance une grande offensive. La guerre d’Hiver vient d’éclater.

En dépit d’un avantage considérable en hommes et en armes, l’Union soviétique ne parvient pas à occuper la Finlande. Bien au contraire: l’Armée rouge essuie de lourdes pertes. L’armée finlandaise fait preuve d’habileté tactique et de créativité pour résister aux assauts soviétiques. Elle décide de ne pas faire bloc directement à la frontière, mais là où le terrain s’y prête davantage. Ses soldats se camouflent à l’aide de combinaisons blanches et se déplacent à ski dans la neige épaisse, ce qui leur procure une plus grande liberté de mouvement que les lourdes bottes des Soviétiques.

Le cocktail Molotov, arme incendiaire, est une autre invention datant de la guerre d’Hiver. Les Finlandais lui donnèrent ce nom ironique après que Viatcheslav Mikhaïlovitch Molotov, ministre des Affai ...
Le cocktail Molotov, arme incendiaire, est une autre invention datant de la guerre d’Hiver. Les Finlandais lui donnèrent ce nom ironique après que Viatcheslav Mikhaïlovitch Molotov, ministre des Affaires étrangères de l’URSS, a déclaré que les bombardiers soviétiques ne larguaient pas des bombes, mais des colis alimentaires.Image: Wikimédia

Les succès de l’armée finlandaise sur le champ de bataille font également sensation à l’étranger. L’opiniâtreté de cette petite nation contre le géant bolchévique suscite l’enthousiasme en Suisse, où une part importante de la population se sent elle aussi coincée entre les grandes puissances et à la merci de leurs visées expansionnistes. Certains veulent même s’engager comme volontaires dans l’armée finlandaise, mais leurs demandes sont rejetées par le Conseil fédéral. Plus de quatre millions de francs sont récoltés en quelques mois seulement dans le cadre d’une collecte de fonds. Le maréchal Mannerheim devient un personnage adulé en Suisse, qui connaît une vague de solidarité.

«Quant à nous, profondément ébranlés, nous montons la garde et nous demandons où sont passés droit et honneur. Ton destin amer est aussi notre affaire, et ta liberté nous est chère comme la nôtre.» Ex ...
«Quant à nous, profondément ébranlés, nous montons la garde et nous demandons où sont passés droit et honneur. Ton destin amer est aussi notre affaire, et ta liberté nous est chère comme la nôtre.» Extrait et couverture de la revue Nebelspalter, 1940.Image: e-periodica

L’Armée suisse s’intéresse elle aussi aux tactiques défensives d’une armée finlandaise extrêmement mobile, ainsi qu’à son habillement et son armement. Mannerheim refuse toutefois l’envoi d’une mission militaire sur le front finlandais. Il se déclare néanmoins prêt à répondre à un questionnaire des Suisses sur les expériences de la guerre d’Hiver.

Ayant appris de ses erreurs, l’Armée rouge s’est mieux préparée en vue d’une offensive de grande envergure qu’elle lance en février 1940. La Finlande doit s’avouer vaincue et accepter des conditions de reddition drastiques. Malgré la défaite, le leadership de Mannerheim jouit d’une reconnaissance internationale, le pays étant parvenu à remporter des victoires remarquables face à un adversaire supérieur.

Pour l’Armée suisse, la guerre d’Hiver est un exemple de la façon dont une petite nation peut tenir tête à une grande puissance. Les programmes d’histoire du degré secondaire abordent eux aussi le combat défensif de la Finlande, et la guerre d’Hiver reste présente dans la mémoire collective jusque dans les années 1970.

Extrait d’un cahier de lecture sur la Seconde Guerre mondiale dans le degré secondaire du canton de Saint-Gall, édité en 1970.
Extrait d’un cahier de lecture sur la Seconde Guerre mondiale dans ...Image: Zentralbibliothek Zürich
Extrait d’un cahier de lecture sur la Seconde Guerre mondiale dans le degré secondaire du canton de Saint-Gall, édité en 1970.
... le degré secondaire du canton de Saint-Gall, édité en 1970.Image: Zentralbibliothek Zürich

De la guerre de Continua­tion à la paix séparée

La paix qui s’installe à l’issue de la guerre d’Hiver est de courte durée. La Seconde Guerre mondiale continue de ravager l’Europe: l’Allemagne nazie occupe le Danemark puis la Norvège, tandis que l’Union soviétique annexe les États baltes. La Finlande cherche le moyen de récupérer les territoires perdus et coopère avec une Allemagne qui enchaîne encore les victoires. S’ensuit la guerre de Continuation contre l’Union soviétique qui dure jusqu’en 1944.

En Suisse, l’opinion dominante est que la Finlande n’a pas conclu d’alliance ferme avec le Reich allemand, mais qu’elle mène une lutte indépendante contre les Soviétiques. Certains se montrent néanmoins déçus que la Finlande qu’ils admiraient auparavant fasse «cause commune» avec le Reich. D’autres vont même jusqu’à réclamer le remboursement des dons qu’ils avaient effectués durant la guerre d’Hiver.

Un an après la reprise des hostilités, un échange d’officiers est organisé. Deux officiers suisses passent plusieurs semaines en Finlande et rédigent des rapports sur le pays et son histoire, mais aussi sur la disposition du front et l’instruction militaire.

En 1943, la défaite de l’Allemagne commence à poindre à l’horizon. La Finlande veut se retirer de la guerre et conclure la paix avec l’Union soviétique. Plus tard, Mannerheim n’aura de cesse de répéter qu’il n’adhérait pas à l’idéologie du Troisième Reich et que son pays ne s’était allié à l’Allemagne qu’à des fins défensives. C’est en effet à lui qu’est confiée la tâche colossale de négocier une paix séparée avec l’URSS. A la surprise quasi générale, il parvient à ses fins: malgré des cessions territoriales considérables et le versement de réparations, le pays réussit à ne pas devenir un Etat satellite de l’Union soviétique.

La Finlande dut céder beaucoup plus de territoire à l’Union soviétique après la guerre de Continuation qu’après la guerre d’Hiver.
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La Finlande dut céder beaucoup plus de territoire à l’Union soviétique après la guerre de Continuation qu’après la guerre d’Hiver.Carte: Wikimédia

Mannerheim se retire définitivement du service actif en invoquant sa mauvaise santé peu après la conclusion des pourparlers de paix. A partir de 1948, il passe la plupart de son temps en Suisse, à la clinique Valmont près de Montreux. C’est ici, à l’écart d’une Europe dévastée par la guerre, qu’il rédige ses mémoires et subit plusieurs traitement médicaux. Il souffre depuis longtemps d’infections pulmonaires, d’ulcères gastriques et d’eczéma de plus en plus étendu sur son corps. Il n’est pas pour autant totalement reclus, puisqu’il rencontre fréquemment d’anciens consuls, des aristocrates et des personnalités militaires.

Mort et postérité

En janvier 1951, l’état de santé de Mannerheim se dégrade fortement. Il décède à l’hôpital cantonal de Lausanne, peu avant minuit le 27 janvier. Sa dépouille est d’abord exposée en Suisse avec une garde d’honneur composée d’officiers suisses. De nombreuses personnalités lui rendent hommage, dont le général Guisan. C’est par avion que le maréchal entreprend finalement son dernier voyage en Finlande.

Le Ciné-Journal suisse rapporte la mort de Carl Gustaf Mannerheim.
https://memobase.ch/fr/object/bar-001-CJS_0464-1_d
Le Ciné-Journal suisse rapporte la mort de Carl Gustaf Mannerheim.
>>> Vidéo
Image: Memobase

De nos jours encore, le nom Mannerheim est indissociable de l’indépendance de la Finlande et de son armée. En Suisse, une cérémonie commémorative est organisée chaque année devant son monument. L’échange d’officiers ne s’est quant à lui jamais arrêté: la bourse Mannerheim offre à des officiers suisses et finlandais la possibilité de se familiariser avec l’organisation militaire de leur pays hôte pendant plusieurs semaines.

>>> Plus d'articles historiques sur: blog.nationalmuseum.ch/fr
watson adopte des perles sélectionnées du blog du Musée national suisse dans un ordre aléatoire. L'article «À skis dans la forêt face à l’Armée rouge» est paru le 17 décembre.
blog.nationalmuseum.ch/fr/2024/12/a-skis-dans-la-foret-face-a-larmee-rouge
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