Outre les droits fondamentaux de l’individu, la Constitution actuelle en Suisse contient de nombreuses garanties de procédure dans le domaine judiciaire. Avant 1999, la majorité de ces droits n’étaient pas expressément inscrits dans la Constitution. Mais cela ne veut pas dire qu’ils étaient pour autant ignorés par les tribunaux.
La Constitution fédérale de 1848 mentionnait peu de garanties de procédure et de droits fondamentaux. Par exemple, il était prévu que certaines affaires pénales – les délits politiques en particulier – devaient être jugées par le Tribunal fédéral (TF), avec un jury. Abolies désormais, de telles cours d’assises étaient considérées comme la garantie d’une bonne administration de la justice, contrôlée par les citoyens, comme d’usage depuis longtemps en Angleterre ou depuis la Révolution en France.
La Constitution garantissait également à tous l’accès aux tribunaux de leur domicile. Il s’agissait avant tout d’interdire les tribunaux extraordinaires. De tels tribunaux avaient été établis dans certains cantons après les troubles politiques des années 1840, comme en Valais en 1844. Après la défaite de la «Jeune Suisse» libérale à la bataille du Trient, les conservateurs victorieux avaient instauré un tribunal spécial, le Tribunal central. Ce tribunal avait jugé les délits politiques et réprimé l’opposition.
L’article 4 de la Constitution fédérale joua par la suite un rôle important concernant l’élaboration des garanties de procédure. A l’origine, celui-ci était censé assurer avant tout l’égalité politique en garantissant le respect des droits civiques accordés à l’origine à tous les citoyens (masculins).
La Constitution fédérale de 1874 allongea à peine la liste des droits de procédure. Elle fit cependant du Tribunal fédéral un établissement permanent chargé de se prononcer sur les atteintes aux droits constitutionnels des citoyens, tâche jusqu’à présent réservée au Conseil fédéral et à l’Assemblée fédérale.
A partir de 1877, le TF reconnut notamment la possibilité d’obtenir justice comme un droit fondamental. Il indiqua ainsi que le refus des autorités de rendre justice aux citoyens violait le principe d’égalité de traitement. Les années suivantes, il dégagea de l’article 4 l’interdiction des décisions judiciaires arbitraires. En conséquence, les décisions qui s’apparentaient à un refus d’appliquer la loi devaient être considérées comme une violation du droit constitutionnel.
Ultérieurement, le Tribunal fédéral déduisit même du principe d’égalité de traitement qu’une partie sans ressources suffisantes avait droit à l’assistance juridique gratuite. L’accès à un tribunal ou l’obtention de certaines preuves ne devaient pas lui être refusés en raison de son incapacité à en assumer elle-même les frais.
Progressivement, le TF reconnut aux parties – notamment dans une procédure civile ou pénale – le droit d’être entendues avant tout jugement. Ce droit d’être entendu supposait qu’une personne prévenue puisse consulter les documents de procédure, notamment ceux qui révélaient l’identité des témoins interrogés. La Haute Cour indiqua également qu’une personne prévenue ne pouvait pas être condamnée si elle n’avait pas été valablement convoquée aux débats pour pouvoir se défendre.
De décision en décision, le Tribunal fédéral aménagea ainsi le droit d’être entendu, tel qu’il est désormais prévu dans la Constitution fédérale de 1999 pour toute procédure judiciaire ou administrative. Ce droit permet aujourd’hui à toutes les personnes impliquées dans une procédure judiciaire de s’exprimer avant un jugement, d’avoir accès au dossier, de présenter des preuves pertinentes ou d’obtenir une décision motivée.
La Constitution fédérale de 1999 contient – contrairement aux Constitutions de 1848/1874 – des dispositions qui encadrent l’action de l’Etat en matière pénale. C’est le cas de l’article 31 sur la privation de liberté et de l’article 32 sur la procédure pénale, lequel consacre notamment la présomption d’innocence. Ce principe fut introduit dans le droit constitutionnel moderne dès la fin du 18ᵉ siècle, par exemple dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
En Suisse, Ludwig Snell, un libéral allemand installé à Zurich, s’inspira du droit de la Révolution française. Il introduisit la présomption d’innocence dans son projet de constitution publié en 1831. Quelques cantons, comme Berne ou Bâle-Ville, l’avaient entérinée dans leur Constitution au début des années 1830. Mais ce principe ne fut pas introduit dans les Constitutions fédérales de 1848 et 1874.
Ce n’est qu’à la fin du 20ᵉ siècle que le Tribunal fédéral précisa que – en vertu du droit constitutionnel – le doute devait profiter à l’accusé, in dubio pro reo. A l’époque, ce principe était déjà présent dans la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et dans le Pacte de l’Organisation des nations unies (ONU) relatif aux droits civils et politiques auxquels la Suisse avait déjà adhéré en 1974, respectivement en 1992.
Ainsi, surtout depuis 1974, le TF accorda les principes de la CEDH avec les garanties qu’il avait déduites de la Constitution fédérale. A partir de 1978, il apparut que les garanties de la CEDH concernant le droit à un procès équitable allaient au-delà de sa propre jurisprudence relative au droit d’être entendu devant un tribunal. Ainsi, la plus haute juridiction suisse reconnut pour la première fois qu’une personne prévenue doit avoir la possibilité, au moins une fois en cours de procédure, d’assister à l’audition de témoins qui l’incriminent et de leur poser des questions.
Comme on le voit, les Constitutions fédérales de 1848 et 1874 n’accordaient aux individus que des garanties de procédure très modestes. Leur développement a résulté de la jurisprudence extensive du Tribunal fédéral. A partir des années 1970, le droit conventionnel a incité la plus haute juridiction suisse à développer ces droits. Finalement, ceux-ci furent en grande partie codifiés dans la Constitution fédérale de 1999.