Pourquoi on se moque de Napoléon partout dans la vieille ville de Berne
Les 20 000 soldats bernois n’avaient aucune chance contre l’armée française, forte de 35 000 hommes arrivés du nord. Soleure était tombée. Le gouvernement bernois avait capitulé. Les 4100 soldats de la troupe auxiliaire confédérée n’avaient pas bougé, et 16 kilomètres plus loin à Fraubrunnen, ce 5 mars 1798 vit quelques milliers de soldats bernois sous le commandement du général Charles Louis d’Erlach combattre une force nettement supérieure.
Au soir de cette funeste journée, dans les collines boisées situées au nord de Berne, la bataille du Grauholz marquera la fin du désastre. Quelques dernières escarmouches à la Schlosshalde devant les portes de la ville confirmèrent une défaite qui coûta la vie à 700 Bernois avant l’invasion de leur ville par les troupes françaises.
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Cette offensive française fut globalement couronnée de succès. Le trésor de Berne, conservé sous l’hôtel de ville dans des caisses pleines de pièces d’or et d’argent, fut confisqué. Les économistes estiment qu’en tenant compte des rendements qu’il aurait produit, il vaudrait aujourd’hui 600 milliards de nos francs. Le contingent français emporta aussi les animaux figurant sur les armoiries bernoises. La fosse aux ours se trouvait alors dans ce qui s’appelle aujourd’hui le quartier du Bollwerk, et les plantigrades que l’on y détenait finirent comme trophée de guerre à Paris.
Cela étant, le commandant des armées françaises, Alexis Balthazar de Schauenburg, se trouvait en situation délicate. L’hébergement et le ravitaillement de ses troupes était assuré par la ville et ses habitants. Mais la population n’avait pas apprécié le pillage de Berne au profit du trésor français, fortement mis à contribution en vue de la campagne de Napoléon en Égypte. Les caricatures montrant le Directoire français presser la ville de Berne firent florès. Leurs légendes sont éloquentes: «Poussez ferme! L’or de la Suisse nous achètera l’Egypte!»
Le quotidien des troupes françaises cantonnées dans une ville inconnue n’allait pas sans difficulté. La plupart des soldats étaient illettrés et ne cessaient de s’égarer dans la ville. Le général de Schauenburg demanda donc au peintre local Franz Niklaus König de réaliser des plaques de rue aux couleurs différentes en fonction des quartiers de la ville afin que ses soldats retrouvent plus facilement leur chemin sans avoir à lire le nom des ruelles sinueuses de Berne.
Première zone, la vieille ville était composée de cinq quartiers. Quartier 1 (Matte et Nydegg), quartier 2 (de Nydegg à la Kreuzgasse), quartier 3 (de la Kreuzgasse à la Zytglogge), quartier 4 (de Zytglogge à la Käfigturm) et quartier 5 (de la Käfigturm à Hirschengraben). Après avoir longuement réfléchi à la mission que lui avait confiée Schauenburg, König s’inspira du nouveau drapeau tricolore suisse vert, rouge et jaune imposé par la France en 1799 à l’exemple du drapeau français. Le choix de ses teintes n’était pas dû au hasard. Les occupants français espéraient ainsi gagner une population locale récalcitrante aux principes de la révolution survenue dix ans plus tôt.
Le vert représentait le canton de Vaud, dont les baillis bernois furent chassés en janvier 1798 par la révolution vaudoise. Le rouge et le jaune faisaient référence à Uri, Schwyz et Unterwald: les cantons suisses originels. König proposa donc des plaques rouges pour la ville haute (quartier 5), dorées et jaunes pour le quartier 4, et vertes pour le quartier 3. Il choisit le blanc pour le quartier 2 et le noir pour les plaques de la zone la plus ancienne de la ville, le quartier 1. L’artiste pensait ainsi satisfaire l’occupant français.
En réalité, ces couleurs étaient tout à fait subversives. En effet, le jaune doré et le rouge représentaient un message caché dont personne à Berne n’était dupe. Il s’agissait des couleurs de l’«Äusserer Stand» des jeunes bourgeois de la ville Berne, société dont les institutions imitaient celle de la ville (avoyer, conseils, bannerets, baillis, etc.) et servaient à préparer ses membres à leurs futurs mandats publics. Cette société organisait des défilés militaires et des exercices ainsi qu’un cortège chaque lundi de Pâques. Son emblème représentait un singe chevauchant un crustacé rouge sur fond doré. Quant à son prestigieux quartier général, le «Rathaus zum Äusseren Stand», il se trouvait évidemment dans le quartier jaune.
Le sens caché de ce langage chromatique échappa complètement aux Français. Lorsque la domination napoléonienne sur la Suisse prit fin en 1813, Bernoises et Bernois conservèrent leurs plaques multicolores. Cette signalisation subversive est pourtant loin d’être bon marché. Ces quelque 360 plaques émaillées sont des pièces uniques, réalisées à la main. Chacune d’entre elles coûte entre 500 et 750 francs, installation non comprise. Et pour résister autant aux assauts du temps qu’à ceux des vandales, elles sont dotées d’une visserie antivol particulière. On ne trouve pas cet équipement sur les plaques de rue standard. La ville de Berne doit en remplacer chaque année 100 à 200 alors que leurs sœurs multicolores ne sont pratiquement jamais volées.
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