C'est digne d'un film comme on en voit trop. L'histoire d'une petite blonde harnachée à son bled paumé. Une ouvrière dans la seule usine du coin, qui fabrique les ressorts qu'on retrouve derrière les produits des distributeurs. Ça ne s'invente pas. Dans les parages, sa famille, ses deux canassons, sa copine Bradford. C'est elle qui l'enrobait de son bras quand elle a commis le bruit le plus célèbre de l'année. Une onomatopée de cow-boy ou de footballeur, bourré de testostérone. Le type de sons que l'on entend aux abords du seul troquet de Belfast (700 âmes), là elle vit. Ouais, un bête crachat.
On ne va pas vous la refaire à l'envers. Vous connaissez l'affaire. Depuis que Haliey Welch, 21 ans, a craché naïvement sur un sexe masculin imaginaire, dans les rues bondées de Nashville et devant une caméra qui n'en demandait pas tant, sa vie a changé. C'est comme ça qu'on dit lorsque la célébrité vient frapper à une porte que personne ne connait.
Et il y a une raison quasi scientifique à cet emballement hors du commun. On n'est pas face à l'énième grossièreté du moment. Le dernier scandale avant le suivant. Ce n'est pas une frasque, mais une fresque. Sociale et rafraîchissante. Il suffit d'observer sa propre gêne après avoir expulsé sa salive hollywoodienne, pour comprendre qu'on est face à une fille dont le monde est encore suffisamment vaste pour elle.
C'est si rare qu'on aurait envie de lui offrir un Oscar avant qu'elle ne sache trop quoi faire de son talent. Une légèreté et une innocence qui ne plaisent pas tant à l'époque.
Mais quel talent? On dit souvent que la célébrité, c'est fait de 50% de charisme. Et Haliey Aliene Welch, à ce petit jeu, fait péter les compteurs. Quand la candeur, le rire et une barrique de naturel permettent de mimer un geste obscène sans choquer grandma, c'est qu'on a ce petit quelque chose que le divertissement californien chasse à longueur de journée.
Ce petit quelque chose que l'on trouve, osons-le, chez Margot Robbie, Jennifer Lawrence et Cameron Diaz. Que l'on crache sur un pénis à Nashville ou qu'on se recoiffe avec le sperme de Ben Stiller, c'est la même énergie singulière qui s'en dégage. D'autant que des stars mondiales ont été découvertes pour moins que ça. Et puis, chez Haliey, il y a toute l'Amérique. La vraie. Celle qu'on ne visite pas. Celle qui se planque dans le film Florida Project ou dans un plan de coupe de True Detective.
Celle qui ne vit jamais très loin du manoir d'une célébrité, mais qui galère à remplir son caddie de bocaux de mayonnaise. Celle qui sort rarement sans un Stetson, un flingue ou une bonne raison. Un être humain inoffensif et invisible. Peu cultivé, mais motivé. Cette semaine, le magazine Rolling Stone est allé prendre son petit-déjeuner, au Pinewood Social de Nashville, avec la petite sensation du moment. Nous sommes à une petite heure de Belfast. Et à lire cette immersion du journaliste Joseph Hudak, on comprend bien qu'il fut touché par la grâce de l'ordinaire.
Le fait que la petite blonde boude Page Six ou TMZ prouve qu'elle n'a rien de la traditionnelle influenceuse narcissique et qu'elle sait foutrement bien s'entourer. Entre «un café cubain et une petite assiette de pomme de terre», elle avouera sans honte ne pas connaître Bruce Springsteen, se félicitera d'avoir quitté son job et flippe à l'idée d'être kidnappée.
Aujourd'hui, trois semaines après sa performance, ce sont surtout les paparazzi, toujours en rang d'oignon devant la baraque familiale, qu'elle fuit comme la peste. On la comprend, il n'y a rien de pire pour une fille normale que d'avoir l'impression de ne plus l'être. De maîtriser son train-train, mais de voir son identité lui échapper pour les beaux yeux d'un buzz involontaire. Viral, ça vient de virus. Et sans un traitement adapté, on finit souvent la course sur le bas-côté, comme bon nombre de victimes de la télé-réalité.
Mais une fois passés les premiers jours un poil turbulents, il faut avouer que Miss Tuah gère plutôt bien sa boutique. Une bonne centaine de milliers de dollars en produits dérivés et des apparitions qu'elle refuse de brader. Comme ce concours de bikini au Seminole Hard Rock Hotel & Casino de Fort Lauderdale, en Floride, où elle a accepté de jouer à la jurée.
Désormais, un manager, un agent, un avocat, un attaché de presse et un vidéaste ne la quittent plus d'une semelle. Sans oublier une signature enviable avec la prestigieuse agence The Penthouse, qui représente notamment un certain... Bruce Springsteen. Sans rancune.
Oui, le fric rentre comme jamais et les articles de presse sortent les uns après les autres. Mais au lieu de hurler qu'elle pourrait se payer dix-huit sacs Chanel, elle saute de joie à l'idée d'avoir déjà gagné suffisamment d'argent pour nourrir sa jument Ellie et son cheval Remmy Jane. Jusqu'à la fin de leur vie.
Quand on y pense, l'histoire de Haliey Welch est bigrement punk. Elle qui sabra tous ses réseaux une semaine avant son crime de lèse-célébrité, voilà qu'elle doit rouvrir des comptes en toute hâte pour éviter les opportunistes et les pâles copies. C'est le monde à l'envers et Dieu que c'est rassurant. Alors que la plupart de ses congénères bourrent leur page Instagram de hashtag et d'hypocrisie pour s'assurer qu'elles sont indispensables, Miss Tuah bâtit les fondations de sa carrière en marge. Dans l'ombre de Narcisse et à la lumière d'une véritable opportunité.
Un podcast? Une émission de télé? Un film? Une série?
Peu importe et surtout: aucune idée. D'autant qu'on reconnaît souvent les bonnes pioches par leur capacité à exprimer ce qu'elles refuseront tout net. Des exemples? Cracher sur le sexe de Donald Trump «qui pourrait être mon grand-père», s'immiscer en politique, retourner dans son usine à ressorts ou ouvrir un compte OnlyFans. En 2024, une année qui se torche parfois avec la dignité, c'est déjà une franche réussite.
Elle ne le sait sans doute pas encore, mais sa tronche, son attitude, son caractère, ses premiers choix de (nouvelle) vie et ce petit rien indescriptible ont déjà sauvé l'Amérique. Comme le clame Rolling Stone, Haliey Welch pourrait bien être l'héroïne que le pays attendait.
Et le premier qui trouvera qu’on exagère, on lui rappellera que les démocrates pensaient sincèrement pouvoir remporter la Maison-Blanche avec Joe Biden.