Dans un biopic, le plus intéressant est de se glisser dans les interstices et découvrir des discussions dont on trépignait d'avoir les tenants et les aboutissants - même si le vernis de la fiction vient recouvrir l'histoire réelle. Le film commence d'ailleurs par un avertissement selon lequel de nombreux événements sont romancés. Malgré ça, Donald Trump a menacé d'intenter une action en justice à l'équipe du film.
Il est également tout aussi intéressant de découvrir des acteurs souvent transformés, méconnaissables sous le maquillage et les artifices pour faire vivre un personnage qui a réellement existé.
Dans The Apprentice, ces deux facteurs vous engagent à foncer dans une salle obscure pour découvrir le film d'Ali Abbasi. Car en pleine campagne d'élection présidentielle, le métrage sonde cet égo surdimensionné qui caractérise Donald Trump; cette infinie fierté qui lui permet de déblatérer des insanités lors de débats télévisés et d'entraîner dans son sillage une partie de l'Amérique aux bureaux de vote.
L'ancien président a été façonné par un homme: Roy Cohn. Un avocat qui a oublié les préceptes de la bienséance et qui, selon ses dires, «défend avant tout les Etats-Unis». Un mentor aux manières illégales, qui va infuser l'esprit de Donald Trump. Il lui enseigne que la vérité n'est pas inscrite dans le marbre et qu'il ne faut jamais admettre sa défaite - attaquer et porter plainte sont les angles d'attaque de son discours de requin.
Ces règles énoncées pour conquérir New York et marcher sur les lois sont un écho à l'élan actuel des Trumpistes. Lorsqu'on écoute Roy, tout est là: la méthode n'a pas pris une ride quand Trump s'avance dans l'arène électorale. «Donnie boy», comme Roy le surnomme affectueusement, a conclu un pacte faustien avec son mentor.
Ce premier arc établit l'emprise de Roy Cohn sur Donald Trump. Et surprise: il est sans doute le meilleur aspect du film. A force de saisir les manigances pour faire plier l'Etat, pour obtenir des exonérations d'impôts pour construire des hôtels et s'en mettre plein les fouilles, tout en usant du chantage pour nourrir sa folie bâtisseuse, voilà la marque Cohn, devenue propriété de Donald Trump désormais.
La performance de Jeremy Strong, qui ravive une posture qu'il avait endossé dans la série Succession, éclipse un premier temps Sebastian Stan. L'acteur américain transmet hargne et monstruosité, armé d'une puissance mégalomane au regard fixe, inquiétant, à l'allure figée qui ne trahit aucune émotion.
Or, à travers ce personnage central, il y a la création de Donald Trump. Sebastian Stan ouvre le chapitre du deuxième arc, passe l'épaule et empoigne le film dans une seconde partie qu'on peut qualifier d'inégal et de conventionnel - l'erreur d'Abbasi est de délaisser le personnage de Cohn. Mais la veine impitoyable gomme cet oubli. Car Trump se laisse consumer petit à petit par la soif de pouvoir.
The Apprentice met l'accent sur les mauvais investissements de Trump et sa relation sulfureuse avec Ivana, sa première épouse (interprétée par Maria Bakalova), qui dérivera sur une scène dérangeante de viol.
Le biopic cherche à cerner la montée d'un homme insécure, obsédé par sa réussite de montrer à son père qu'il en a dans la caboche. Il ne cesse de rappeler que le monde se divise en deux catégories: les «killers» et les «losers», tout en se recoiffant.
On rit, on fronce les sourcils, mais on en demandait un poil plus; il manque un petit coup d'accélérateur pour sonder en profondeur la psyché de Trump - et son manque d'empathie, de sincérité absente et son costume de frimeur en chef.
A bien des égards, l'histoire est charpentée de sorte que le spectateur intègre les ressorts mégalos de l'ancien président. Le mérite revient à la plume du biographe politique Gabriel Sherman, l'auteur du best-seller sur Roger Ailes (ancien PDG de Fox News tombé dans les filets de la justice), qui a inspiré la série The Loudest Voice.
Pour The Apprentice, le récit est calé sur plusieurs sources, dont la sulfureuse biographie (non autorisée) de Trump: Lost Tycoon: The Many Lives of Donald J. Trump. En s'inspirant de ce bouquin de 1993, Sherman dessine avant tout les origines de Trump, ses relations, son désir de dépasser son père, un frère qui perd pied. C'est surtout ce parrain maléfique qui enseigne au petit nouveau les rudiments du métier.
A l'amorce du générique, The Apprentice, outre deux acteurs à l'ouvrage et aux talents indéniables, obtient une note acceptable. Mais la bombe n'a pas pleinement explosé. Peut-être que les producteurs ne voulaient pas se retrouver avec un procès sur le dos, alors que l'ogre Trump brandissait l'avertissement avant le carton rouge. L'un d'eux, le milliardaire pro-Trump Dan Snyder, avait déjà retiré ses billes après avoir avancé un conflit créatif comme raison de son départ. Ali Abbasi et Gabriel Sherman ont alors marché sur des oeufs de caille pour voir leur bébé enfin éclore.
«The Apprentice» est à découvrir dans les salles de cinéma dès le 17 octobre.