En 2019, le Joker de Todd Philipps déconstruisait tout ce que l'on connaissait d'une adaptation de comics, raflant au passage des prix prestigieux. Le Joker, l'emblématique Némésis de Batman, devenait le protagoniste de son propre film, sous les traits de Joaquin Phoenix, oscarisé pour ce rôle.
L'histoire tragique d'Arthur Fleck (Joaquin Phoenix) prenait place dans les années 1980 au cœur d'une ville de Gotham inspirée du New York de cette époque, au bord de la faillite et gangrenée par l'insécurité. Dans une ambiance «scorcesienne», puisque le film lui-même est un hommage à The King of Comedy (1982), le misérabilisme en plus. Arthur Fleck est un humoriste asocial et chétif qu'on découvre aux portes de la schizophrénie. Une succession de malheurs va donner naissance à son alter ego sociopathe: le Joker.
Joker: Folie à Deux prend place exactement là où le premier volet nous avait laissés. Interné au sein de l'hôpital psychiatrique d'Arkham, Arthur Fleck, dont le traitement médical a refréné son identité monstrueuse, attend patiemment son procès. Retourné à l'état d'introverti qu'il était autrefois, celui-ci s'est attiré autant la sympathie de ses gardiens de prison qui lui donnent des cigarettes en échange d'une blague, que de son avocate, qui voit en lui la victime d'un passé traumatique.
Dehors, le Joker est toujours une personnalité adulée, devenue un symbole antisystème depuis son passage à la télévision nationale, où il assassina l'animateur vedette Murray Franklin (Robert de Niro). Cette fange de supporters marginaux se masse tous les jours aux abords du tribunal, où le clown doit être jugé pour ses meurtres.
Durant son internement, Arthur va rencontrer Harleen «Lee» Quinzel (Lady Gaga) lors d'un cours de musique, une patiente qui va se découvrir une fascination pour lui. Les deux vont se rapprocher, ce qui va réveiller la personnalité du Joker, et vont se trouver dans leur folie commune…
Joker premier du nom comportait quelques scènes oniriques, issues de l'imaginaire d'Arthur Fleck. Dans celles-ci, il se projetait en comédien hilarant dans un comedy club ou sur le plateau télévisé de l'émission préférée de sa mère. Ces scènes permettaient de projeter le personnage dans un monde idéalisé, bien loin de la médiocrité de son quotidien. Folie à Deux embrasse cet aspect-là, au travers de quelques passages chantés puisés dans les classiques de la chanson américaine, réinterprétés soit a cappella, soit dans des mises en scène de musical-hall.
Que les allergiques aux comédies musicales se rassurent, le film n'en est pas une pour autant. Les passages chantés s'intègrent parfaitement au récit, sans jamais sortir le film du réalisme ambiant. Todd Phillips utilise ce procédé avec parcimonie, au point que l'aspect musical ne dessert en rien le film, mais n'apporte pas non une plus-value. Joker: Folie à Deux place ses spectateurs dans le box des accusés et s'avère être loin d'une romance ou d'une comédie musicale, il est en réalité plus proche du film de procès, dont l'ennuie peut se faire ressentir à mesure que le film avance.
Alors que le long-métrage baigne toujours dans la grisaille de Gotham, entre les murs de la prison et ceux de la salle d'audience, ces scènes musicales apportent la flamboyance du Joker, qui s'oppose au quotidien misérable d'Arthur Fleck.
Ce procédé permet également l'arrivée d'Harley Quinn, sorte d'Arlequin dans les comics, afin d'amener le pendant féminin du Joker à l'écran dans des passages fantasmés de ce que pourrait être ce duo dans toute sa grâce.
Cependant, ceux qui espèrent une odyssée romanesque entre deux sociopathes vont être décontenancés. Cette suite n'est pas divertissante. C'est un film sombre, déprimant, éclairé à de rares moments par ces scènes musicales.
Joker: Folie à Deux est le revers d'une seule et même pièce. Celle dont la face n'est autre que l'opus sorti en 2019. Joker racontait avec un message anarchiste la naissance d'une figure d'anti-héros construit par la violence de la société qui dénonçait par la même occasion la montée des extrêmes.
D'ailleurs, le film a été un vrai succès financier avec son milliard de dollars au box-office mondial et un succès critique récompensé par deux Oscars. Cependant, le long-métrage a également eu des répercussions moins glorieuses en devenant un phénomène culturel, étant interprété comme ode aux luttes insurrectionnelles.
Le personnage est devenu un emblème contestataire l'année de sa sortie. Il s'est retrouvé ainsi dans les rues de Beyrouth à Hong-Kong, mais également en France, lors du soulèvement des gilets jaunes, sous forme de masques et de graffitis. Celui-ci s'est même vu ériger en symbole par les incels (contraction en anglais de «célibataires involontaires»), une sous-culture née sur Internet, profondément masculiniste et misogyne, qui considère les femmes responsables de leurs malheurs. Ce Joker était devenu le visage des antisystèmes autant dans le film que dans notre réalité.
Todd Phillips a créé un monstre et il était nécessaire d'y mettre le feu. Avec ce second opus, le réalisateur se réapproprie sa créature et va là où on ne l'attend pas. En faisant de cette suite une réflexion terriblement sombre autour du culte de la personnalité qui gravite autour de son personnage, le réalisateur démonte brique par brique tout ce que le premier film avait bâti.
Une audace à saluer qui risque de faire grincer des dents les fans du clown, de ceux qui n'ont toujours pas compris l'essence du personnage. Joker: Folie à Deux n'est pas un film sur l'ascension du Joker, mais sur la descente aux enfers d'Arthur Fleck, un homme qui n'existe aux yeux du monde que par le monstre qui sommeille en lui. En résulte une œuvre profondément triste dont il ne ressort que de la pitié. Vous êtes prévenus.
«Joker: Folie à Deux» de Todd Philipps sort sur les écrans romans le 2 octobre 2024. Durée: 138 minutes