Samedi soir, le réalisateur américain Sean Baker a enfin pu exulter après être reparti bredouille de la compétition il y a trois ans: le jury, présidé par la réalisatrice de Barbie Greta Gerwig, a décerné la Palme d'or à la tragi-comédie Anora, une histoire sauvage et férocement maudite sur les désordres de cœur et les égarements de la nuit.
Le Grand Prix du Jury, la deuxième récompense la plus importante du festival, est allé à la réalisatrice indienne de documentaires Payal Kapadia pour son premier long métrage All We Imagine as Light. Le film iranien The Seed of the Sacred Fig de Mohammed Rassulof a reçu un prix spécial. Le réalisateur a récemment fui son pays d'origine, où il avait été condamné à une peine de prison.
Très prisé par la critique internationale, le drame musical Emilia Pérez de Jacques Audiard a reçu le prix du jury. Il raconte l'histoire d'un chef de cartel mexicain qui veut devenir une femme. En outre, les actrices Karla Sofía Gascón, Zoe Saldana, Selena Gomez et Adriana Paz ont été récompensées, presque comme les quatre soeurs d'une même famille.
Ainsi s'achève une compétition aux multiples facettes, qui a parfois glissé vers «l'escapisme». Certaines œuvres de Paul Schrader (Oh Canada) ou de David Cronenberg (The Shrouds) ont porté à l'écran la douce et triste mélancolie de la déchéance. Et le prix d'honneur pour l'ensemble de sa carrière que George Lucas, le créateur de Star Wars, a reçu des mains de son vieil ami Francis Ford Coppola, a également convoqué une bonne dose de nostalgie sur la Croisette.
D'autres films tout droit sortis du cœur de réalisateurs confirmés, comme Megalopolis de Coppola et (hors compétition) le méga-western Horizon de Kevin Costner, n'ont pas seulement marqué les esprits par leur durée, mais aussi par leur posture: «si nous ne pouvons pas expliquer le monde entier, nous pouvons au moins le faire pour l'histoire américaine.»
Cette cuvée 2024 fut sans conteste l'année des films vraiment longs, rares sont ceux à ne pas avoir franchi la barre des deux heures. Qu'est-il arrivé à la bonne vieille toile de 90 minutes?
A l'extérieur des salles obscures, il y a eu peu de manifestations politiques; le tapis rouge ne semble pas avoir convenu à la guerre de Gaza. Les révélations pourtant annoncées en lien avec le mouvement #metoo ont finalement ressemblé à un appel d'air médiatique. Enfin, Donald Trump n'a causé que peu de vagues en voulant s'opposer au biopic The Apprentice, qui le dépeint comme un libertin froid et un violeur.
Nous avons décidé de dresser une liste de cinq films sur lesquels il faudra se jeter dès qu'ils seront accessibles au grand public. Voici notre sélection:
Attention, ça crie et ça jure beaucoup: Anora, dite Ani (Mikey Madison), travaille dans un club de strip-tease new-yorkais. Dans l'exubérance de sa jeunesse, elle épouse à Las Vegas un fils d'oligarque immature qui l'avait auparavant payée pour des relations sexuelles; une décision à mi-chemin entre le calcul de l'ascension sociale et la véritable bonne entente du moment.
Mais Ani n'avait pas prévu l'opposition farouche de ses parents à ce mariage. Le mélange de drame amoureux et de comédie de gangsters de Sean Baker, qui a remporté le premier prix, est un trip hystérique dans les abîmes de l'amour impossible et des projets de vie possibles.
🚨 Sean Baker’s “Anora” first look. pic.twitter.com/UlvF208qtQ
— Mikey Madison Updates (@mikeymsource) May 26, 2024
🎬 "Ce n'est pas seulement un rêve qui se réalise, mais c'est LE rêve qui se réalise", réagit le réalisateur américain Sean Baker, après avoir reçu la Palme d'Or du 77e Festival de Cannes pour son film "Anora" #AFPVertical ⤵️
— Agence France-Presse (@afpfr) May 25, 2024
📱 @AdrienBarbier pic.twitter.com/z9nWhtAyH4
Bailey (Nykiya Adams), douze ans, vit avec son père fêtard (Barry Keoghan) dans le chaos d'un squat à la périphérie d'une ville portuaire anglaise. Ni son demi-frère, petit délinquant, ni sa mère ne la soutiennent. Lorsque la jeune fille rencontre un étranger bizarre (Franz Rogowski), elle décide de l'aider à retrouver sa famille. L'histoire «coming-of-age» d'Andrea Arnold (Fish Tank) fait un détour inhabituel par le fantastique et donne au drame social anglais une mise à jour qui le revigore.
Totalement sous le charme de #Bird. Andrea Arnold, toujours aussi juste, nous entraîne à la rencontre d'une famille de laissés-pour-compte et offre de vrais moments d'émotion. Et lorsque s'immisce le fantastisque dans le récit, impossible de retenir ses larmes. #Cannes2024 pic.twitter.com/Eb3PbeZd0M
— Vanessa Bonet (@_garmonbozia) May 25, 2024
Il y a quelques mois à peine, le réalisateur grec a reçu quatre Oscars pour son film grotesque façon Frankenstein, Poor Things (Pauvres Créatures). Il récidive aujourd'hui avec un film d'ensemble de trois heures, dans lequel il mise à nouveau sur Emma Stone et Willem Dafoe - et aussi sur le fantastique Jesse Plemons, récompensé par le prix d'interprétation à Cannes.
Trois histoires sont reliées par les thèmes favoris de Lanthimos, à savoir le sacrifice de soi et le libre arbitre. Le résultat est certes moins radical que les contributions précédentes du précurseur de la Greek Weird Wave, mais il n'en demeure pas moins un exercice de doigté très divertissant sur les pas de Kafka et Buñuel.
Adi, un jeune Roumain, retourne chez ses parents fiers de l'accueillir dans son village natal endormi pendant les vacances universitaires. Un matin, il se retrouve devant eux, roué de coups. Le jeune homme commence alors une recherche des auteurs de son agression, et tente de comprendre leurs motivations.
Lorsqu'on découvre qu'Adi a rencontré un garçon en secret pendant la nuit, il passe du statut de victime à celui de traqué. Le drame tordu et émouvant d'Emanuel Pârvu parle d'une communauté tristement homophobe, et aborde les thèmes de la trahison, de la corruption et du désespoir.
Les rencontres annuelles du G7, qui réunissent les démocraties les plus riches du monde, sont habituellement une affaire plutôt clandestine et morne. Rien de tout cela dans Rumours, dont on retient plutôt les images merveilleusement sombres.
Lors de leur réunion dans la forêt du nord de l'Allemagne, chefs d'État et présidents reçoivent soudain la visite de cadavres fossilisés - et découvrent un cerveau géant. Dans le rôle de la chancelière allemande, Cate Blanchett évolue au cœur de cette magnifique œuvre grotesque sur l'immobilisme en politique.
🔴 Vite, c’est l’heure de la Montée des Marches ! ✨
— Festival de Cannes (@Festival_Cannes) May 18, 2024
RUMOURS – EVAN JOHNSON, GALEN JOHNSON, GUY MADDIN#Cannes2024 #HorsCompétition #SélectionOfficielle #OfficialSelection https://t.co/95eNmQE2Dg
(Traduit de l'allemand par Valentine Zenker)