Avant d'être un film en 2025, Queer est une nouvelle d'autofiction de l'écrivain William S. Burroughs qu'il a écrite entre 1951 et 1953. Cet auteur est principalement connu pour ses romans hallucinés mêlant drogue, homosexualité et anticipation. Il est un des fondateurs de la Beat Generation, un mouvement artistique et littéraire associé à la libération sexuelle des années 1960 dans lequel on retrouve une autre figure emblématique: son ami Jack Kerouac.
Avec en son centre un personnage vieillissant en quête d'amour, Queer est un choix d'adaptation légitime pour le réalisateur Luca Guadagnino. Il y a dans l'œuvre du cinéaste, ouvertement homosexuel, une volonté de parler de désir et des relations complexes qui peuvent en découler, ce qu'on retrouve notamment dans Call My By Your Name en 2017 ou encore Challengers sorti en 2024. «Tous les bons films sont gays», pouvait-on d'ailleurs l'entendre dire dans l'émission Vidéo Club de Konbini.
Pour adapter ce roman qui relate la vie d'expatriés américains homosexuels dans le Mexique des années 1950, Luca Guadagnino a fait appel à Daniel Craig pour incarner William Lee, l'alter ego de l'écrivain, venu au Mexique pour se sevrer de son addiction à l'héroïne. L'homme passe ses soirées, enivré, à errer sans but dans les endroits gays de Mexico à la recherche de liens et d'étreintes qui pourraient lui fournir sa dose d'endorphine.
Son destin bascule le jour où il croise la route d'Eugene Allerton (Drew Starkey). Il jette son dévolu sur ce jeune GI en permission, dont il s’éprend de manière obsessionnelle. Après une courte relation entre les deux hommes, celui-ci le rejette. Pourtant, malgré leur relation ambiguë, les deux amis se lancent ensemble en quête d’une plante hallucinogène qui conférerait des dons télépathiques.
Queer est pour Daniel Craig l'occasion de crever à jamais l'abcès qui lui colle à la peau: son rôle de James Bond. Si l'acteur, qui a aujourd’hui 56 ans, doit à l'espion britannique le rôle de sa vie et qu'il lui en est reconnaissant, il a récemment exprimé que les 20 années passées à jouer 007 avaient été bien trop exigeantes physiquement, et que la «masculinité» de l'agent secret avait été l’une de ses principales «réserves» dans son approche du personnage. C’est pourquoi il donne aujourd’hui la priorité à des rôles qu’il juge plus sincères, dans lesquels il ne s’oblige plus à jouer les durs à cuire et les sauveurs du monde, comme il l'a dernièrement déclaré dans une interview au New Yorker.
Il est clair que les fans masculinistes vont être un peu décontenancés face à un tel rôle, puisque Daniel Craig y incarne une version «Gainsbarre » du célèbre 007. Si le personnage de Lee reste toujours élégant et bénéficie du physique avantageux de son interprète, il n'en est pas moins légèrement repoussant. Avec ses cheveux gras et sa peau suintante de transpiration, William Lee est un homme dans la fleur de l'âge, cherchant sa place dans une communauté où la jeunesse et la beauté sont les plus grandes richesses, et où la vieillesse vous rend moins désirable, vous abandonnant à la solitude.
L'acteur n'a d'ailleurs pas hésité à donner de sa personne, quitte à briser totalement son image bondienne, en réalisant des scènes de sexe plus ou moins explicites.
L'oeuvre de Luca Guadagnino a toujours été un cinéma esthétique, à l'image de son confrère, le réalisateur italien, Paolo Sorrentino. Avec son cinéma poseur pour ses détracteurs ou touchant au sublime pour ses fans, il n'en reste pas moins un cinéaste singulier dont la patte est immédiatement reconnaissable.
Si son précédent Challengers faisait virevolter sa caméra dans tous les sens, il semble qu'avec son nouveau long-métrage, Luca Guadagnino ait redécouvert le trépied. Sa mise en scène est des plus classiques et prend le temps de contempler ses personnages. Cependant, le film baigne dans une artificialité constante. L’univers qu’il a imaginé parait flotter dans un songe. Les rues désertes de Mexico, recréées aux studios Cinecittà de Rome, évoquent les mêmes univers éthérés que les tableaux d’Edward Hopper. Quant à la seconde moitié du film, qui se déroule dans les profondeurs de la jungle, le long-métrage prend une dimension psychédélique vertigineuse qui fait basculer le film en territoire inconnu.
C’est à partir de là que la proposition du réalisateur devient clivante, puisqu’il s’agit d’une véritable transe cinématographique qui se déploie face au spectateur. Pourtant, ce voyage intérieur est une expérience sensuelle et visuelle qui ne tombe jamais dans le grotesque, un équilibre rare dans l’étrangeté qui n’est pas sans rappeler l’œuvre de David Lynch, réalisateur visionnaire qui nous a quittés le 16 janvier dernier.
Avec Queer, Luca Guadagnino signe enfin un bon film depuis Call Me by Your Name, et Daniel Craig livre sa meilleure performance depuis qu'il a rangé son smoking au placard, à condition d’accepter le paradis artificiel proposé, qui ne sera évidemment pas au goût de tout le monde.