«Je ne veux pas cette phrase en titre»: On a discuté avec James Cameron
Avatar: de feu et de cendres, le troisième films de la saga fantastique créée par James Cameron, qui comprendra potentiellement sept volets, sort en salles la semaine prochaine. D’ici la sortie du quatrième opus en 2029, la saga aura coûté un milliard de dollars, alors qu'Hollywood traverse une période de changements radicaux et que les recettes des cinémas diminuent dans le monde entier.
Avatar: De feu et de cendres | bande-annonce 👇
Dans une interview accordée dans un hôtel de Beverly Hills, le cinéaste de 71 ans justifie ses budgets colossaux et explique comment l’intelligence artificielle pourrait sauver l’industrie du film.
Vos films sont très chers et la fréquentation des cinémas est en baisse. Comment pouvez-vous encore justifier les budgets d’Avatar?
Le modèle économique est effectivement assez bête: un film Avatar doit figurer parmi les dix films les plus rentables de tous les temps pour être un succès. Je ne peux évidemment pas le garantir.
Et c’est une bonne chose! 3 800 noms apparaissent au générique du film. Ce sont 3 800 emplois - pas tous à long terme, mais beaucoup de gens ont travaillé quatre ou cinq ans sur le film. Si je pouvais faire un film à 2 milliards de dollars, je le ferais.
Croyez-vous toujours en l’avenir du cinéma?
Oui. Je suis peut-être un dinosaure, mais après 45 ans, je garde le même avis. J’adore l’expérience en salle. Oui, depuis le Covid et le streaming, le marché a chuté de 30 à 35%, et il ne s’est pas rétabli comme on l’avait prévu. De nos jours, un bon film ne suffit pas, on doit produire quelque chose d'excellent. Parce ceux qui continuent à aller au cinéma veulent vivre quelque chose de spécial. F1, Zootopie ou Wicked offrent des expériences visuelles uniques. Avatar en fait partie.
Pour qu'on se remette à jour: comment Avatar: de feu et de cendres s’intègre-t-il aux deux premiers films?
Dans le premier film, nous avons introduit le monde de Pandora et posé une histoire d’amour relativement simple. Le second opus a complexifié l’intrigue: On a introduit le peuple de l'eau et les Tulkuns, et le fils aîné de la famille Sully est mort. Ce décès est traité dans le nouveau film, et le clan Ash apparaît pour la première fois. C'était vraiment important pour moi de montrer des réactions humaines authentique face au traumatisme et au deuil, afin d’ancrer les éléments fantastiques.
Qu’entendez-vous par là?
Dans ce genre de films, c’est souvent le même schéma: la femme meurt, l’homme devient un tueur fou. Et pendant deux heures, on glorifie cette violence. Au cours des dix dernières années, j’ai dû faire face à plusieurs pertes (réd: Jon Landau, partenaire de production de longue date de Cameron, est décédé en 2024). Le deuil ne disparaît pas d'un claquement de doigt. On doit vivre avec. Neytiri traverse cela dans le film.
Les Na’vi ne sont donc finalement pas si différents de nous?
Tout à fait. Les films Avatar ne sont pas de la science-fiction, mais plutôt une allégorie fantasy. Ils se déroulent sur une autre planète afin que nous puissions réfléchir aux problèmes que nous avons ici sur Terre, sans être froissés par telle ou telle politique ou religion.
Le réalisateur de Frankenstein, Guillermo del Toro, a accepté son Gotham Award la semaine dernière en déclarant «Fuck l'IA». Que ce soit avec Terminator ou Titanic, vous avez toujours été un pionnier des nouvelles technologies. Avez-vous, vous aussi, des inquiétudes concernant l’IA ?
Il faut préciser qu'il existe deux types d’IA. D’un côté, la superintelligence artificielle, qui arrivera dans deux ou dix ans, on ne sait pas exactement. Elle pose un problème pour la civilisation. Elle a de nombreux avantages, mais vient aussi avec d’immenses risques - comme Skynet dans Terminator. Ce n’est pas le sujet ici. Dans le secteur du divertissement, on parle de l’IA générative, les modèles qui utilisent chaque image contenue dans une base de données pour créer des vidéos réalistes. Et ça, ça ne m’intéresse pas. Ce n’est pas comme ça que les artistes - et je me considère comme un artiste - font des films.
Mais cela existe déjà, non?
On peut bien mettre tout ce qui a été créé dans un mixeur, mais ce qui en sort ne peut être que moyen. C’est la voie vers la médiocrité. Et ça fait peur. Je veux lire des scénarios écrits par des gens qui ont vécu quelque chose. Je ne veux pas non plus remplacer les acteurs. Mais je ne veux pas lire en titre: «James Cameron déteste l’IA et pense qu’elle va ruiner Hollywood». Ce n’est pas si simple que ça.
Comment le prochain film d'Avatar bénéficie-t-il de l'IA?
Les films à gros effets visuels sont, comme je l’ai mentionné, très chers, et le marché s’est contracté. Des gens comme moi, Steven Spielberg ou Denis Villeneuve, qui ont fait leurs preuves, peuvent encore produire de tels films, mais un jour, ce ne sera plus possible. Comment un jeune cinéaste pourrait-il entrer dans cette catégorie de films? Si l’on arrive à apprivoiser l’IA générative et à automatiser certains processus supplémentaires de production, on pourra compenser les pertes de revenus liées à la baisse du box-office.
Et ça fonctionne?
Je ne sais pas si c’est la solution miracle, car je ne l’ai pas encore utilisée. Je siège au conseil d’administration de Stability AI pour mieux comprendre la chose. J’ai demandé aux développeurs d’inventer des outils pouvant s’intégrer aux processus de production des effets visuels.
J’ai 71 ans. Combien de films Avatar est-ce que je vais encore pouvoir faire si j’ai besoin de presque dix ans pour en réaliser deux? Ce serait génial qu'on puisse aller plus vite.
Et tout ça sans pertes d'emplois?
Exactement. Le même nombre d’artistes, mais qui travaillent plus vite et plus efficacement. Si l’on termine plus tôt, on peut commencer plus tôt quelque chose de nouveau. Je vois un avantage économique pour les cinéastes et pour le marché. Mais je ne peux pas le garantir aujourd’hui. Mais mon instinct y croit. J’avais eu du flair concernant les images de synthèse (CGI) en 1989, lorsque je tournais The Abyss et que je les testais pour la première fois. Plus tard, j’ai fondé Digital Domain, la première grande société du genre. Là encore, j'avais vu juste. Nous verrons si ça se confirme encore aujourd’hui.
Avatar : de feu et de cendres sortira au cinéma le 17 décembre. (aargauerzeitung.ch)
traduit de l'allemand par Anne Castella
