«Pourquoi les mannequins devraient-ils se faire crier dessus sur un plateau de télé?» C'est la question rhétorique que pose Sara Lazarevic, regardant avec assurance la caméra de l'équipe de reporters de la RTL, média belge.
Ce qui était la norme depuis des décennies dans le monde rugueux du mannequinat est en train de changer. Lors des castings et des séances photo, le respect et la considération deviennent de plus en plus importants. Ce sont surtout les mannequins de la gen Z qui revendiquent leurs droits, et ils le font avec assurance.
Sara Lazarevic dit militer «pour une ambiance de bienveillance sur les plateaux», tout en maîtrisant parfaitement les codes de l’univers de la mode. À 38 ans, elle est elle-même mannequin, entrepreneuse, et co-organisatrice de la Zurich Fashion Week, prévue pour l’année prochaine. Elle répond aux questions des journalistes présents comme si elle récitait un mantra, de manière quasi-méditative.
Il est 10 heures du matin, dans les alentours d’un village pittoresque de l'île de Majorque, Montuïri, à environ une demi-heure de Palma. Dans cette «villa à 7 millions d’euros», comme aime le souligner Sara Lazarevic, se déroule aujourd’hui une partie de son camp de mannequins qui dure trois jours. L'équipe d’une vingtaine de personnes est déjà très active. Cinq stations de coiffure et de maquillage sont occupées. Des femmes encore fatiguées sont maquillées et coiffées, transformées jusqu’à la perfection. Une odeur de cheveux lissés au fer et de maquillage poudré flotte dans l’air.
Sur la véranda de cette finca de dix chambres, des stylistes, pantalons larges en lin noir et baskets, déplacent des portants à l’ombre, ajustent des ourlets de jupes, habillent de jeunes gens élancés et sélectionnent, parmi des kilomètres d’accessoires et de bijoux étalés sur une table en bois, les gadgets nécessaires à un look parfait.
C’est le deuxième jour du camp de mannequins proposé par Sara Lazarevic via ses agences Model Boutique et Connect 4 Fashion. Des noms explicites, car Sara Lazarevic veut créer du lien entre les mannequins et l’industrie. Le programme s’intitule Portfolio Power Days. Sept participantes venues de Suisse, d’Espagne, des Pays-Bas et d’Allemagne ont payé 2300 euros (sans les vols) pour y participer. Sont inclus dans ce forfait: l'hébergement en pension complète dans une villa de mannequins, l'entraînement au défilé, des conseils en networking, du marketing et de la stratégie, des séances de coaching et des séances photo. Au total, trois journées d’immersion complète dans un environnement simulant des jobs réels de mannequin.
À l’issue du séjour, les participantes rentreront chez elles avec des photos professionnelles réalisées par des photographes professionnels. Une partie de ces images sera publiée dans des magazines tels que Harper’s Bazaar et Elle.
Un rêve pour de nombreux jeunes, alors que les émissions de casting et de télé-réalité comme Next Top Model battent leur plein. Et les thématiques abordées semblent coller à l’air du temps: comment interagir avec des chasseurs de têtes, des stylistes, des journalistes, des photographes? Comment faire du réseautage intelligent? Comment savoir où et quand ont lieu les castings? Dans quelle catégorie se situer : éditorial, publicité, sport, défilés? Et surtout, que faut-il savoir faire pour tenir durant plusieurs heures durant un shooting, physiquement et mentalement?
Cinq Porsche sont garées devant l’entrée. Un DJ passe une musique aux basses douces parfaitement calibrée. Dans le tumulte ambiant, on entend beaucoup de gens parler anglais avec divers accents, mais aussi régulièrement de l’allemand. Sur les marches, la coach pour mannequins et influenceuses Viola Push guide les quelque quarante participants d’un casting en libre accès (Opencall), destiné à recruter des modèles pour un défilé le lendemain. Elle leur fait faire des exercices où ils posent. Il faut tendre la jambe gauche, fléchir la hanche droite, hausser une épaule, baisser l’autre, regarder l’objectif, lever les bras au-dessus de la tête, tout cela en synchronisation avec le déclencheur de l’appareil.
Viola Push compte 255 000 abonnés sur Instagram, et sait parfaitement se mettre en scène. Elle explique:
La scène est un mélange entre Top Model et La Nouvelle Star.
Les sept protégées de Sara Lazarevic, toutes des femmes, se mêlent aux autres mannequins. Comparées à certaines des castées, elles ont déjà des allures de professionnelles. C'est le cas d'Angelique Swan, 29 ans. Originaire de Cologne, elle a découvert le camp sur les réseaux sociaux et a été tout de suite emballée à l'idée d'y assister. «Il faut être intelligent et en forme pour travailler comme mannequin», dit-elle.
Bien qu’elle soit déjà sous contrat avec l’agence No Toys à Düsseldorf, elle veut apprendre ici ce qui lui reste à savoir pour devenir une vraie professionnelle. L’argent qu’elle dépense, elle le voit comme un investissement dans son portfolio. Les autres participantes partagent ce sentiment, comme Ellen Janssen, célèbre mannequin transgenre des Pays-Bas. Elle dit:
Les aspirantes mannequins savent bien que ce métier est difficile. Glamour, il l'est seulement dans un second temps. Journées longues, règles strictes, discipline de fer, tout cela, elles l'ont bien compris. C’est pourquoi les mannequins sont aussi sensibilisées à des thèmes comme l'estime de soi, la santé mentale ou la nutrition. Parmi les coachs, on retrouve Katharina Dodik, originaire de Stuttgart. Mannequin professionnelle depuis plusieurs années, elle a défilé lors des Fashion Week de Berlin, Milan et Paris. À 25 ans, elle conseille les participantes en matière de santé, de longévité et de forme physique. Elle raconte:
La jeune femme s’est spécialisée dans le biohacking, un courant qui se concentre sur la surveillance, l’analyse et l’optimisation de son corps et de son esprit. Elle ne jure, entre autres, que par les bains glacés. «Cela renforce le système immunitaire, aide à réduire le stress et augmente la force mentale», explique-t-elle.
Katharina Dodik forme aussi ses futures collègues au domaine des réseaux sociaux. Selon elle, une présence en ligne est aujourd’hui indispensable pour un mannequin, pas forcément en tant qu'influenceuse, mais au moins avec une sélection de belles photos. «Ainsi, un client peut se faire une idée plus précise lors d’un casting. Aujourd’hui, la visibilité est primordiale.»
Pour booster leur portfolio, les participantes repartiront avec leurs photos dans leur book, et idéalement sur leurs comptes Instagram. Avec trois lieux pour les shootings, huit looks, différents photographes, le résultat est conséquent.
«Notre emploi du temps est ambitieux pour trois jours. Mais nous voulons que cela vaille la peine pour les participants», déclare Sara Lazarevic à propos de cette première édition du camp, qui pourrait être reconduite si le nombre d’inscriptions s'avère suffisant. Dans les coulisses, on entend certains dire que «beaucoup de choses sont assez chaotiques et agitées». Mais après tout, cela reflète précisément ce secteur. (aargauerzeitung.ch)
Traduit de l'allemand par Joel Espi