Vendredi soir, Harris était à Harris.
Enfin...
Disons plutôt que Kamala Harris était dans le comté de Harris, au Texas. Plus précisément à Houston, au cœur du Shell Energy Stadium. La candidate démocrate n'a pas fait le voyage toute seule, puisque 22 000 groupies ont eu le privilège de se frayer un chemin dans ce rallye aux promesses de concert pop.
Selon le site accueillant les inscriptions, quasi deux millions de personnes ont tenté d'assister à cette importante étape de campagne de la vice-présidente. Dans l’après-midi, il a fallu poireauter plus de cinq heures, dans une file mesurant parfois jusqu'à quatre kilomètres, pour avoir ensuite le droit de poireauter à l’intérieur du stade.
L'effet Beyoncé? Il y a des chances. Depuis la rumeur (très) appuyée de sa présence à Houston (sa ville natale, ça ne s'invente pas), bon nombre de fans de Queen B. muni d’un ticket n'avaient pas l'air de prêter grande attention au bain de sang électoral qui est en train de se jouer dans leur pays.
Got my ticket to see the Beyoncé rally tomorrow 😌 pic.twitter.com/DLvPkYOlTa
— NINA BINA 🦋 (@aninaferino) October 25, 2024
Si bien que plusieurs milliers de malchanceux ont dû rebrousser chemin. C'est le jeu du premier arrivé, premier servi, mais aussi de la saveur furieusement VIP de cette sauterie politique. Quand on brandit une star planétaire, c'est très vite compliqué de maintenir l'audience éveillée avec Willie Nelson, 91 printemps, pourtant l’admirable patron de l'outlaw country.
.@WillieNelson: Are y’all ready to say 'Madam President'? pic.twitter.com/zAgkz058fR
— Kamala HQ (@KamalaHQ) October 26, 2024
Après deux heures sous les assauts d’une playlist toute démocrate (Billie Eilish, Olivia Rodrigo, Katy Perry, Bruce Springsteen…), le stade a enfin accouché de sa première célébrité en chair et en os. L’actrice Jessica Alba, en tailleur bleu présidentiel, a ouvert le bal en s’avouant impressionnée par la marée humaine. La chicana de Spy Kids et Sin City, dont le père est un militaire d’origine mexicaine, a évidemment tapé dans le foie de Donald Trump et de sa politique migratoire autoritaire.
Ce fut ensuite au tour d’une ribambelle de médecins texans de venir défendre le droit à l’avortement, sans conteste la grande vedette du rassemblement. Sans doute aussi parce que la loi Roe v. Wade, fusillée par les trumpistes, trouve ses racines au Texas.
Ironie du sort, une demi-douzaine de blouses blanches ont vécu l’inconfort de devoir héler… une «assistance médicale» au micro, pour soulager un spectateur qui a manifestement peu goûté aux cinq premières heures d’attente sur ses deux jambes. (Les malaises vagaux, comme les promesses, sont monnaie courante dans les meetings américains.)
Texas doctor, "There is no place for Donald Trump in my exam room." pic.twitter.com/r9cUeEhODe
— Sarah Reese Jones (@PoliticusSarah) October 26, 2024
Il faut avouer que la recette du rallye de vendredi était risquée. Faire monter la mayonnaise dans l’attente de Beyoncé, en alternant les témoignages poignants d’Américaines contraintes d’accoucher après un inceste et les gros décibels hip-hop pour secouer les popotins.
À 21h30, le pauvre DJ a même dû se résoudre à combler trente bonnes minutes de vide, armée d’un pot-pourri des soirées Ibiza des années 2000. On se serait cru à un concert de Nicky Minaj à Miami ou dans un rayon d’Ikea, tant il a fallu meubler.
Suffisant pour dégonfler la motivation des 22 000 Beyhives (les fans de pop stars ont toujours un petit surnom)? Négatif capitaine! Et c'est la force des rallyes organisés dans des stades: les gradins de football incitent au bain d'allégresse. Mais soudain, disons plutôt 7h15 après l'ouverture des portes, Beyoncé a enfin brisé l'interminable suspens à 22h15, accompagnée de sa copine des Destiny's Child, Kelly Rowland.
Beyoncé has arrived 👑 pic.twitter.com/TXpPRvJM5m
— Kamala HQ (@KamalaHQ) October 26, 2024
Beyoncé? Vraiment? Disons plutôt la citoyenne américaine Beyoncé Giselle Knowles-Carter. La chanteuse, la reine, la patronne du R'n'B, a laissé la robe à paillettes et les décibels au vestiaire, pour délivrer un message court, mais très bien charpenté.
Beyoncé: "Our voices sing a song of unity, of dignity and opportunity." pic.twitter.com/dviVijunCi
— CAP Action (@CAPAction) October 26, 2024
Au grand dam de milliers de fans, Beyoncé n'a pas poussé la chansonnette. Mais, comme pour atténuer la (grosse) déception, la star a enchaîné les métaphores pour affirmer qu'il «est temps pour l'Amérique de chanter une nouvelle chanson».
Une astuce rhétorique qui n'a pas eu pour effet de rassasier les fans de Queen B. Sur les réseaux sociaux, on est allé jusqu'à la traiter de «sociopathe», pour avoir évoqué le projet de «chanter une nouvelle chanson», sans daigner s'y coller. Et la fureur n'a pas attendu le speech de Kamala Harris pou inonder les réseaux sociaux.
“it’s time to sing a new song!” so do it @Beyonce pic.twitter.com/XuD4U4rrh5
— Lex (@uhlexiswarren) October 26, 2024
Me everytime Beyoncé said the words “sing” and “song” during her speech pic.twitter.com/toCmFDqGxz
— Ólayinka (@OlayKnowless) October 26, 2024
Beyoncé a décidé de ne pas chanter pour ne pas risquer d'étouffer son message. La stratégie, en soi, n'aurait pas été mauvaise si elle l'avait démoulé un mois plutôt. Bien sûr, vendredi soir, la star a soutenu officiellement la campagne de Kamala Harris et, vu sa formidable popularité, c'est une excellente nouvelle pour la campagne démocrate.
Mais à dix petits jours d'une élection présidentielle qui se joue dans un cul-de-sac, quand on sait qu'une bonne partie des Américains ont déjà voté, la musique voyage mieux que les mots. Et la vice-présidente aurait eu grandement besoin d'un Freedom qui raisonne dans un stade texan et sur tous les téléphones portables des jeunes électeurs américains.