C'est le meilleur «Astérix» depuis un demi-siècle
«C’est quand même mieux à la maison», gémit Obélix, qui n’a strictement pas envie de repartir à l’aventure, dès la première vignette du nouvel album. D'autant qu'à bord du bateau de marchandises sur lequel ont embarqué les deux acolytes, on se régale surtout… de morue.
Suffisant pour filer la nausée à au moins l’un des deux héros les plus célèbres - et les plus gourmands - de toute la Gaule.
Mais le devoir appelle Astérix et Obélix: un innocent risque d’être livré en pâture aux lions. Mavubès, un petit producteur de garum - la sauce de poisson fermenté - est accusé d’avoir tenté d’empoisonner César. Appelé à la rescousse, le duo flaire aussitôt le complot et n’hésite pas une seconde – quitte à sacrifier une bonne bouffe.
Entre bastons et paperasserie romaine
Ainsi commence la 41ᵉ aventure du tandem, avec une traversée depuis les côtes nord-ouest de la Gaule (notre actuelle Bretagne) jusqu’à Olisipo, nom antique de Lisbonne, à quelque 1500 kilomètres de là, dans la province romaine de Lusitanie. Le port offre un décor varié à une intrigue rythmée: parfois, nos Gaulois distribuent des baffes dans des ruelles étroites; parfois, ils s’empêtrent dans les méandres de la bureaucratie locale.
Ailleurs, on les retrouve dans des cachots humides, ou à bord d’un luxueux yacht romain. La gastronomie locale n’est pas en reste – en dehors de l’omniprésent cabillaud. Les traditionnels pastéis de nata trouvent même une seconde vie… en guise de projectiles: «Ils tirent des bombes caloriques!», s’exclame Astérix.
Quant au vinho verde – «du raisin pas mûr, ils ont un problème avec le timing ici?» – il joue un rôle crucial dans la réhabilitation du condamné injustement accusé. Même Obélix, d’ordinaire monomaniaque du sanglier, se montre inhabituellement cosmopolite:
Esprit retrouvé
On sait déjà qu’après 44 pages – format gravé dans le marbre par René Goscinny et Albert Uderzo – les héros rentrent fêter leur victoire au village autour d’un banquet. Mais le duo actuel, le scénariste Fabcaro et le dessinateur Didier Conrad, s’amuse à brouiller les pistes avant ce final attendu. Et c’est justement ce petit jeu qui rend la lecture si savoureuse.
Leur trouvaille la plus audacieuse – et peut-être la plus surprenante – tient dans une seule case: lors du voyage en mer, les Gaulois croisent forcément les fameux pirates, présents depuis Astérix gladiateur (le tome 3!). Aucun autre album n’avait encore jeté par-dessus bord un stéréotype aussi daté avec autant d’élégance. Le marin noir au cheveu crépu perd du même coup ses lèvres caricaturales: un détail qui, ici, passe comme une évidence.
Superbement croqué aussi, ce couple de touristes venus de Lutèce: un mari complotiste, xénophobe et méfiant envers l’autorité, incapable de répondre à la moindre question sans lâcher son sempiternel: «On a encore le droit de le dire, non?»
Pendant que sa femme, elle, s’évertue à donner aux deux Gaulois une touche de couleur locale – un clin d’œil qui devrait réjouir les plus jeunes lecteurs.
Cinq – ou bientôt cinquante – ans après la mort d’Uderzo et de Goscinny, le nouvel album, en librairie ce jeudi, respire enfin l’esprit des grandes années. La preuve qu’une recette simple, bien exécutée, ne se démode jamais. Ou, pour citer Obélix: «La saison du sanglier, c’est tout le temps. Ça pousse toute l’année.»
(Astérix en Lusitanie, 41e album du petit Gaulois, sort ce jeudi dans 19 langues et 25 pays.)
(traduit et adapté par mbr)
