Le 18 juin 2023, un submersible de la société OceanGate, le désormais tristement célèbre Titan, se lance dans sa première expédition de l'année. Sa mission? Aller vadrouiller autour de l'épave du Titanic, à quelque 3800 mètres de fond. A son bord, cinq passagers. Le PDG de l'entreprise OceanGate, Stockton Rush. Un éminent océanographe et spécialiste des épaves, Paul-Henri Nargeolet. Ainsi que trois «touristes» en soif de sensations fortes, loin des sentiers battus. Chacun a déboursé 250 000 dollars pour une place à bord de ce vaisseau.
1h45 après le début de sa mission, le Polar Prince, paquebot-mère qui attend à la surface, perd le contact avec l'engin et son équipage. Le coup d'envoi à des recherches frénétiques, une couverture médiatique mondiale et une attente tendue, insupportable, pour les proches des disparus, dans l'espoir de les retrouver sains et saufs.
Quatre jours à bout de souffle. Avant que la découverte de débris ne confirme les pronostics les plus pessimistes. Le Titan a implosé avant même d'atteindre sa destination. Une pression d'eau équivalente au poids de la Tour Eiffel a entraîné la mort instantanée des cinq personnes à bord. Un drame dont l'industrie des fabricants de sous-marins de luxe, en plein essor, prend acte avec angoisse. Avec le Titan, n'est-ce pas tout le secteur qui menace de prendre l'eau et de sombrer définitivement?
Parmi ces fabricants, l'entreprise Triton Submarines, qui compte le réalisateur James Cameron parmi ses investisseurs. L'entreprise propose à une clientèle très aisée et fascinée par le royaume sous-marin, des modèles de submersibles personnalisés. Avant la disparition du Titan, le constructeur planche sur pas moins de 15 projets, dont chacun nécessite environ un à deux ans de construction, explique-t-il au Wall Street Journal.
Les craintes semblent se confirmer lorsque, presque immédiatement après la disparition du Titan dans l'Atlantique, l'une de ses commandes est annulée. Un sous-marin de 4 millions de dollars à destination d'un yacht familial. «La mère de famille a préféré tirer la prise», explique le directeur commercial de Triton Submarines.
Même coup de frayeur du côté du son concurrent, le constructeur néerlandais U-Boat Worx. «De nombreux facteurs peuvent affecter une baisse, en particulier sur un marché aussi petit, mais j'attribuerais cet effet directement au Titan», estime son directeur commercial, Erik Hasselman, au WSJ.
Le marché mondial des submersibles habités, en croissance rapide depuis vingt ans, a atteint une valeur de 186 millions de dollars en 2022, rappelle le Wall Street Journal. Avant de suspendre ses activités en juillet dernier, OceanGate comptait une longue liste d'attente de clients potentiels, impatients de s'enfoncer à plus de 3 kilomètres sous la surface de l'Atlantique Nord pour observer l'épave du Titanic. Le tourisme de l'extrême est un segment en pleine croissance.
C'est ainsi qu'aujourd'hui, les passionnés de l'océan peuvent s'offrir leur propre «superyacht submersible», livré avec un «vaste choix de sièges en cuir véritable ou végétalien», une «coque personnalisée», ainsi qu'une «formation de pilote et d'opérateur». Si Triton Submarines n'indique pas ses prix sur son site Web, ses appareils sont estimés dans la presse entre 2,5 et 40 millions de dollars.
Malgré le mauvais coup de pub du Titan et quelques annulations de commandes dans la foulée, force est de constater que le succès des sous-marins privés est toujours au rendez-vous. Les carnets de commandes des deux principaux constructeurs du secteur restent pleins, observe en mars 2024 le média spécialisé Boat International.
En un sens, le cas du Titan a aussi permis de souligner à quel point les voyages en sous-marins sont sûrs. Le dernier accident mortel remonte à 1973. Depuis, il y a eu des centaines de milliers de voyages en submersible, peut-être des millions, sans un seul mort avant la tragédie du Titan.
«OceanGate n'a pas donné une mauvaise image du secteur. Au contraire, il nous a donné une bonne image», estime Rob McCallum, fondateur de la société d'expédition ultra haut de gamme Eyos.
Le PDG de Triton Submarines, Patrick Lahey, se souvient de son côté au Wall Street Journal: «Nous avions un client, un homme formidable. Il m'a appelé et il m'a dit...»
Un «engin». Le patron de Triton Submarines n'est pas le seul à affubler ainsi le Titan, dont le fabricant OceanGate se trouve encore sous le coup d'une enquête de la Garde côtière américaine et de plusieurs organismes de surveillance. Leurs résultats devraient être publiés à la mi-juin de cette année.
Contrairement à la plupart des entreprises du secteur, l'appareil disparu le 18 juin 2023 n'était pas certifié, affirme Will Kohnen, président du groupe d'examen de la Marine Technology Society (MTS), à Channel News Asia. Un appareil «expérimental», construit avec des matériaux comme de la fibre de carbone et susceptibles de se fissurer après des plongées répétées.
Les concurrents d'OceanGate tiennent là leur principal argument marketing: pour leur part, leurs sous-marins sont «classés», certifiés sûrs et conformes. Matériaux, conceptions, composants et embarcations finies sont soumis à des tests et à des évaluations par des accréditeurs indépendants, tels que l'American Bureau of Shipping.
La plupart des submersibles privés seraient donc sûrs. Par ailleurs, la plupart s'aventurent à des profondeurs nettement plus hospitalières (500 mètres ou moins) que celles où repose le Titanic depuis 110 ans, dans les récifs coralliens.
Certains observateurs maritimes soulignent que la tragédie de l'OceanGate pourrait mener à une surveillance accrue des constructeurs de sous-marins. La Marine Technology Society a recommandé que SOLAS, le traité maritime international qui fixe les normes de sécurité pour les navires marchands, soit modifié pour traiter les submersibles comme des navires. Un vœu pieux, sans doute, pour un domaine par nature peu réglementé, qui ne risque guère d'affecter les plongées dans les eaux internationales, où aucun pays ne peut imposer sa loi.
Pas de quoi décourager une poignée de passionnés intrépides et d'ultra-riches en mal d'adrénaline, prête à débourser des millions pour ne pas croiser un autre touriste. Quitte à s'enfoncer des milliers de lieues sous les mers.