Anora, vainqueur. C'est une relative surprise, alors que les voix s'élevaient pour envoyer The Brutalist ou encore Conclave sur la scène pour repartir avec la statuette.
Mais Brady Corbet a courbé l'échine, le cierge allumé par Edward Berger n'a pas suffi. C'est bien Sean Baker qui s'est présenté devant le gratin hollywoodien, couronnant une carrière menée dans l'ombre, dans le circuit indé'. Il part avec l'Oscar du meilleur film, ainsi que celui du meilleur réalisateur.
Une razzia pour le réalisateur de 54 ans. C'est même une nouvelle leçon des films à petits budgets, car le cinéma indépendant américain trouve toujours un bel écho auprès de l'Académie. Le «petit» Anora, cette romance entre une strip-teaseuse new-yorkaise qui s'amourache du rejeton d'un oligarque russe, fait la nique aux plus gros comme Wicked et Dune, empruntant la même trajectoire qu'un film comme Moonlight de Barry Jenkins, en 2017.
Avec son budget de 6 millions, Sean Baker ne pesait pas bien lourd face aux superproductions telles que Dune (190 millions), Wicked (150 millions) ou encore Un parfait inconnu (70 millions).
Une recette que Baker a souvent usée. Il s'est souvent dépatouillé pour monter ses films avec les moyens du bord.
Son métrage, Tangerine, paru en 2015 et primé au festival de Deauville, est une belle illustration du chemin accompli par le natif du New Jersey. Sans le sou pour produire cette odyssée qui suit deux prostituées transgenres à Los Angeles, il n'a pas hésité à pimper son iPhone pour donner vie à son histoire.
Il disait en 2015, à Allociné:
Un film ovniesque qui a provoqué les hourras de la critique internationale, avant de se poursuivre deux ans plus tard, avec une autre histoire: The Florida Project. Celui-ci narre le récit de la fille d'une stripteaseuse dans un quartier défavorisé proche d'un Disney World - s'y trouve l'un des seuls grands noms à trouver une place dans un film de Baker: Willem Dafoe. Puis, il y a eu encore Red Rocket, qui trace le destin d'une ancienne star du porno de retour dans un patelin texan, toujours débarrassé de noms clinquants.
Les stars n'intéressent pas le cinéaste, il préfère dégoter ses personnages sur Instagram («son catalogue de casting», comme il le confiait au Monde), ou au supermarché. Tout se passe à la marge, à l'image du metteur en scène, qui préfère ne pas succomber aux sirènes des grands studios.
Il reste fasciné par les laissés-pour-compte, les marginaux qui tentent de survivre dans une Amérique qui avale et recrache les plus démunis; les oubliés du rêve américain. Il le met en scène avec son style, variant entre excentricité, laideur et coeur, avouant au passage être «fasciné» par ces travailleuses du sexe - car ça se passe «juste sous notre nez, que nous le remarquions ou pas».
Derrière cet Oscar glané dimanche soir, il y a une éclosion lente et de petits mandats pour financer sa carrière. Il tourne des publicités, de manière anonyme.
Aujourd'hui, cette consécration lui permettra de poursuivre son rêve. Une digne récompense pour un cinéaste qui se qualifie comme un «enquêteur», au cinéma au plus près de l'être humain (qui frise le documentaire), qui a longtemps galéré pour sortir la tête de l'eau. «Je fleuris tardivement», confiait-il l'année dernière aux Inrocks. 2025 est l'année du bourgeonnement pour Sean Baker.