«Hé regarde cette boutique! Ça te dit, on se fait un piercing?!»
Ça n'a aucun sens, mais ça a le mérite de situer l'état de frustration et d'excitation dans lequel on est avec ma collègue Noémie juste avant le concert de Raye (et surtout juste après ne pas l'avoir eue en interview, même si on y a cru très fort jusqu'au bout). Ça part donc sur un piercing (à l'oreille Maman, t'inquiète) pour faire redescendre tout ça.
«Bon... on va au concert maintenant?»
La foule attend, s'impatiente. «Elle est en retard, elle va pas venir...» Raye débarque finalement sur scène avec un quart d'heure vaudois. Normal pour une Suissesse, dirons-nous.
Pieds nus, dans sa robe blanche satinée, avec des petites plumes sur les épaules. On dirait une apparition. La chanteuse de 26 ans a l'air sincèrement heureuse d'être là, son sourire est touchant, contagieux. Et l'énergie qu'elle dégage aussi, en emportant le public avec un premier morceau, The thrill is gone.
Le cadre est posé. Elle est puissante. Emouvante. Et à la fois très drôle. Après ce premier morceau, Raye prend la parole, salue le public, dont son grand-père suisse, qui la voit jouer pour la première fois. «Il est où? Oh, il est là, coucou! Je vais pleurer!», s'exclame-t-elle. En regardant autour de moi, il y a justement déjà des spectateurs qui pleurent.
Il y a une authenticité folle, et rare. La chanteuse nous fait passer du rire aux larmes et vice versa. D'ailleurs, après le morceau suivant, Worth it, elle conclut en éclatant de rire.
Avant d'entamer sa chanson Maryjane, assise par terre, dans des lumières vertes, Raye nous parle d'addictions. «On peut être accros à beaucoup de choses différentes. Il y a des gens qui sont accros au sport par exemple.»
«Le lac, le soleil qui se couche, c'est encore mieux que la maryjane», lance-t-elle au public.
Alors qu'elle chante Maryjane, Raye change les paroles. En chantant, elle raconte qu'elle ne veut pas terminer cette chanson et qu’elle est désolée auprès de son grand-père pour ce qu’elle chante.
Elle désarçonne la foule, passant en quelques secondes d'une petite blague à une note céleste. Il se passe quelque chose de magique, ce soir. «J'ai la chair de poule!», me dit Noémie. Ah oui.
Changement d'ambiance. Radical. Le ton n'est plus léger, insouciant. «La musique m'a sauvée un nombre incalculable de fois», dit-elle, pour introduire le prochain morceau, Ice Cream Man. Dans le public, l'ambiance s'est rafraîchie d'un coup.
Une chanson glaçante qui parle d'un producteur qui l'a violée.
Autour de moi, partout où je regarde, il n'y a que des visages fermés. Beaucoup d'entre nous sommes en train de pleurer. Raye aussi. Ce moment du concert est douloureux, mais il émane de la scène et du public une force qui pourrait atomiser toutes les personnes ignobles qui font subir un viol à quelqu'un un jour.
Elle switche sur la prochaine chanson, la foule cesse de retenir tant bien que mal son souffle et ses larmes. Ouf. Et de nouveau, une touche d'humour et de légèreté lorsqu'elle aperçoit les spectateurs aux balcons des immeubles voisins.
Alors que le concert se poursuit, je me dis que j'ai rarement assisté à quelque chose d'aussi beau. Sa reprise de It’s a Man’s Man’s Man’s World est un nouveau moment suspendu.
Une voix puissante et douce à la fois, et la malice d'une enfant. Notamment lorsqu'elle s'émerveille devant une bulle de savon flottant au-dessus des spectateurs, alors que nous-mêmes sommes émerveillés par les notes qu'elle vient de nous offrir avec une facilité déconcertante.
Géniale. Authentique. Ça fait un bien fou. Et tellement talentueuse... Quelques heures plus tôt, elle partageait sur Instagram son excitation à l'idée de chanter ici, comme Nina Simone.
Serait-on en train d'assister à un de ces concerts qui façonnent l'histoire du Montreux Jazz, festival mythique auquel sont venues chanter les plus grandes légendes de la musique au fil des décennies, depuis sa création par Claude Nobs en 1967? Verra-t-on dans 50 ans une artiste publier sur les réseaux sociaux une photo de Raye en disant «c'est fou de chanter ici, comme elle»? Franchement, peut-être.
Un petit couac technique me sort de mes pensées. «Elle est trop forte, elle a fait péter la colonne de son de droite ou quoi?!» L'ambiance est folle. Quand elle n'est pas assise au bord de la scène, Raye danse. Elle communie avec la foule, elle nous fait chanter, danser. On dirait qu'elle veut nous achever.
Lorsqu'elle envoie ses singles parmi les plus connus, Prada et Escapism, on profite. On sent que la fin du concert est proche. Le soleil décline lentement.
Effectivement, c'est la fin. La fin d'un concert absolument magique.
Nous non plus, on n'oubliera jamais cette folle soirée montreusienne. Merci Raye!