«Rien n'est ni tout blanc ni tout noir», dit-on, lorsqu'il s'agit de prendre un peu de recul et d'éviter certains raccourcis. Un matin du 27 février 2015, le monde entier allait pourtant découvrir les nouvelles couleurs de la discorde: or et blanc, bleu et noir. Il fallait alors choisir son camp, comme si notre vie ou l'avenir de la nation en dépendait. Un débat féroce qui va durer plusieurs mois, alors qu'il s'agissait de la photo d'une bête robe postée sur le réseau social Tumblr.
Pour certains internautes, il était impossible d'envisager que des congénères pensent (à raison) que cette robe est de couleur bleu et noir.
Or, brisons (une nouvelle fois) le suspense, cette robe n'est pas dorée. En quelques jours, le débat avait suscité près de 10 millions de tweets, qui scindera le monde en deux camps irréconciliables. La raison d'un tel déchaînement de passion est simple: non seulement tout le monde s'était persuadé que le voisin qui disait voir autre chose mentait, mais tous les yeux ne sont pas calibrés de la même manière.
Une musicienne écossaise est à l'origine de la guerre des couleurs. Alors que deux de ses proches amis s'apprêtaient à s'unir, la maman de la mariée a pris la robe en photo, donnant lieu aux premières passes d'armes. Excédée par ce débat, Caitlin McNeill a voulu jouer l'arbitre en demandant à sa communauté de trancher:
Cette question fera l'effet d'une bombe qui s'étendra très vite à la totalité d'Internet. Alors qu'aujourd'hui les buzz naissent trop vite et meurent instantanément, «The Dress», qui a une page Wikipédia, va titiller les plus grands journaux et d'éminents spécialistes. En France, c'est Le Monde qui va tenter de calmer le jeu en invoquant des scientifiques et en allant très (mais alors vraiment très) loin:
Soucieux de rester le plus sérieux possible, Le Monde en profitera pour rappeler que «l'œil est constitué de photorécepteurs qui seront, selon les personnes, plus ou moins sensibles à la longueur d'onde et à l'intensité de la lumière qui parvient à la rétine». Soit.
Aux Etats-Unis, Pascal Wallisch, neuroscientifique de l’Université de New York, s'est lancé en 2014 dans une étude de grande envergure, conviant 13 417 cobayes à répondre à plusieurs questions au sujet de cette robe. Selon lui, la réponse se cache dans l'ombre.
En vérité, tout le monde se fichait des réponses scientifiques. Il s'agissait avant tout d'écraser l'opinion de son voisin d'algorithme et de tenter de le faire basculer dans son propre camp. Tom Christ, directeur des données de Tumblr à l'époque, déclarait qu'à «son apogée, la page en question recevait 14 000 vues par seconde». Les personnalités s'étaient même glissées dans la discussion, à l'instar de Taylor Swift, effrayée à l'idée qu'elle y voit du bleu et du noir.
Enfin, pour rire, mais surtout pour souligner l'importance de «l'affaire», le détaillant, Roman Originals, a décidé de commercialiser une robe blanche et dorée, dont les bénéfices fileraient dans les poches d'une œuvre caritative.
«The Dress», qui fête ses dix ans, est sans doute le premier débat virtuel à avoir déchiré à ce point la planète. Bien avant que tout sujet d'actualité ne se transforme en ring de boxe où le citoyen est sommé de choisir violemment son camp.