A notre époque, la tentation est partout. Au boulot, sur Tinder, dans les bars, mais surtout sur W9, là où des tentatrices, dont une mante télégénique genevoise, se charge d'anéantir des couples plus ou moins cons(entants). Figurez-vous que les Espagnols, bien que leur sangria, leur climat et leurs plages soient déjà des mines à tentations, font pareil sur la chaîne Telecinco.
Et figurez-vous (bis) que la saison 8, qui se déroule dans la péninsule de Samaná, en République dominicaine, séduit enfin les téléspectateurs après plusieurs années d’audience en demi-molle.
Ils appellent cela «La isla de las tentaciones». Olé.
Si on vous en parle, c'est moins parce qu'on adore bousiller nos soirées devant des âneries étrangères, qu'à cause d'un méchant débordement en terres francophones. Mercredi matin, sur X, alors qu'on envisage naïvement de s'enquérir des dernières décisions autoritaires de Donald Trump, voilà qu'Anita, Manuel et Montoya nous sautent au visage.
Bonjour, d'abord, hein.
Encore groggy, on avale alors sans mâcher des cargaisons de vidéos non sollicitées. Tout va très vite. On se refait un café. A l'écran, deux jeunes personnes font l'amour sous des draps blancs. La nuit lacère les émotions. Des cris retentissent. Un homme est en pétard. Comme nous n'avons pas affaire à un point de la situation au Moyen-Orient, on comprend assez vite ce qui se trame: Anita a succombé au charme contractuel de Manuel et Montoya boit ses propres larmes de cocu en 4K.
Admettons. Mais la coucherie-spectacle faisant partie du contrat, pourquoi diable ces coups de canif espagnols atterrissent-ils en escadrille dans nos algorithmes? Ce n'est pas comme si W9 manquait d'hormones avariées. Pour prendre toute la mesure du drame (ce qu'on fera, à notre corps défendant), il faut zoomer sur le boyfriend, qui semble autant en colère que sa chemise est déboutonnée. Et les internautes français sont en apoplexie.
A leur décharge, c'est vrai que la crise dégoupillée par le pauvre Montoya est digne des telenovela les plus expansives. La cruauté de l'émission étant ce qu'elle est, le cocu a la possibilité de suivre en direct les ébats illégitimes de sa moitié. Posés peinards dans le sable, à deux pas de la mer, Montoya et la présentatrice font face à un écran géant sur lequel se déploie majestueusement la testostérone du beau Manuel au pieu, qui sait y faire, le bougre.
A chaque coup de reins du tentateur, c'est l'amour-propre du cornard qui s'effrite. N’y tenant plus, habité par une rage pourtant bannie des plus mauvais cours de théâtre, le jeune homme décide alors qu'il lui faut en découdre et pique un sprint amoureux de la dernière chance. Dans une mise en scène qui se rêve hollywoodienne, le caméraman suit la foulée de Montoya dans la pénombre, le long du rivage. Le suspense est intenable et l'humanité tout entière retient son souffle.
Que compte-t-il faire? Abîmer la mâchoire de Manuel ou se résoudre à sauver une miette de dignité, quitter l'émission et trouver un vrai boulot? Sa ligne de dialogue nous fait (hélas) pencher pour le premier scénario:
Alors qu'on observe Montoya, bave aux lèvres, prendre d'assaut la «Villa Playa», on pense au réalisateur de l'émission, qui a eu l'idée fabuleusement perverse de jongler entre les râles d'Anita et les beuglements de son mâle officiel. La musique épique, aussi grasse qu'un poulet KFC, termine la scène.
Et les internautes francophones sont au bord du gouffre, subjugués par les talents d'acteur du cocu qui a tout donné pour crever l'écran.
On vous épargnera les détails et les à-côtés de ce scandale télévisuel, que seuls les pauvres parents de ces jeunes inconsistants n'oublieront pas de si tôt. Loin de pouvoir se targuer d'être des spécialistes de «La isla de las tentaciones», on conseillera simplement aux producteurs de «L'île de la tentation» française d'épicer un peu leur version, histoire de ne plus avoir à se réveiller avec des gémissements et des larmes espagnols qui salissent nos algorithmes. D'avance, gracias.