Ce mercredi, le vice-président américain JD Vance doit tenir un discours lors d'une importante convention dédiée aux bitcoins, à Las Vegas, démontrant l'intérêt croissant de l'administration Trump envers les monnaies digitales. Pour en discuter, nous sommes allés poser toutes les questions à Pierpaolo Benigno, professeur de macro-économie à l'Université de Berne et auteur de plusieurs ouvrages et papiers sur l'économie américaine et les cryptos.
Lors de son premier mandat, Donald Trump s'était clairement positionné en défaveur des cryptos-actifs. Qu'est-ce qui a changé?
Depuis 2020, l'opinion des experts du marché a évolué. Les crypto-actifs étaient perçus à l'époque comme instables et hasardeux, ils sont devenus synonymes d'innovation, notamment sur l'aspect décentralisé de la blockchain. Une vision plutôt positive sur les paiements numériques s'est imposée.
Des gens autour de lui à la Maison-blanche l'ont influencé, je pense notamment à David Sacks. Trump le surnomme le «tsar du bitcoin» et l'a mis à la tête des questions liées à l'intelligence artificielle et aux crypto-monnaies au sein de son administration.
Quelle est la stratégie de Trump et jusqu'où ira-t-il?
Je pense qu'il va imposer des régulations modérées pour promouvoir cette industrie. Chose intéressante, il a signé en janvier un décret présidentiel, qui s'opposait aux monnaies numériques des banques centrales. Un autre, ratifié en mars, se prononçait en faveur d'une réserve stratégique américaine de cryptos.
Trump a compris que la tendance est réelle et qu'il s'agit d'une alternative valide face au système bancaire. Il existe aussi un intérêt particulier dans les stable coins, ces cryptomonnaies liées à une monnaie déjà existante.
Pouvez-vous nous en dire plus?
Pour les Etats-Unis, il s'agirait d'un pont entre leur système basé sur le dollar et l'économie numérique. Les stable coins leur permettraient de reproduire la valeur du dollar, qui est garantie par la détention de bons du Trésor américains. A titre d'exemple, l'entreprise Tether, derrière le plus important stable coin au monde, en possède désormais pour 120 milliards de dollars, soit plus que l'Allemagne. Pour l'administration américaine, cela pourrait représenter une demande intéressante pour sa dette croissante. Il convient d'être prudent. A long terme, l'émergence d'une rivalité entre le pouvoir croissant des crypto-actifs et la puissance établie du dollar, est possible.
Trump semble plus intéressé par la spéculation. Il a profité de la hype autour des cryptos pour lancer sa propre monnaie, le $TRUMP. Qu'en pensez-vous?
Un président ne devrait pas se lancer dans ce genre de projets. Il y a beaucoup d'argent en jeu et le conflit d'intérêts est flagrant. Je suis content de voir l'intérêt envers les cryptos, mais pas comme ça. Trump est un président-businessman qui crée des perturbations sur le marché pour en tirer profit.
A Las Vegas, deux membres du clan Trump seront présents comme orateurs. Le risque de conflit d'intérêt ou de délits d'initiés est étendu à tout son clan, non?
Il y a en tout cas un faisceau de preuves qui va dans ce sens. Le fait que toute la famille Trump soit active dans ce business, qui détourne la présidence américaine à ces fins, est hautement problématique. Les CEO des entreprises doivent en général divulguer leurs conflits d'intérêts quand ils achètent ou vendent des actions. La famille Trump peut le faire en toute impunité.
Quel est l'agenda économique de Trump, entre les négociations sur les droits de douane et une ouverture vers les cryptos?
Il y a beaucoup de chaos et d'incertitudes autour des décisions de cette administration. Sur les droits de douane, Trump change d'avis d'un jour à l'autre et tente de négocier dans tous les sens.
Je pense que ses décisions sur les cryptos sont positives, mais cela pourrait être fait sans ce comportement erratique. Cela pourrait saper d'autres éléments positifs de son programme.
L'administration Trump joue-t-elle avec le feu?
L'erratisme de Trump n'a, étonnamment, pas eu d'impact particulièrement négatif sur l'économie. Certaines analyses tablaient sur un recul de la croissance, mais jusqu'à présent, l'économie est plutôt résiliente. Il se peut que les investisseurs finissent par perdre confiance dans l'économie américaine, mais les Etats-Unis restent leaders dans l'intelligence artificielle, ce qui permet de les maintenir.
Donald Trump va-t-il créer sa réserve nationale de crypto-monnaies, comme promis?
Le bitcoin ou des stable coins pourraient devenir des actifs légitimes au point d'être stockés. Si de nombreux investisseurs en ont déjà dans leur portfolio et que les banques centrales s'y intéressent, pourquoi pas en faire une réserve? D'autres pays y réfléchissent.
Le bitcoin ne risque-t-il pas d'éclater comme la bulle Internet en 2001?
Je ne crois pas. Le bitcoin a déjà chuté trois ou quatre fois, mais est à chaque fois remonté.
C'est devenu une monnaie comme une autre, avec ses défauts et ses qualités. Elle est très volatile à court terme, mais dispose d'un bon pouvoir d'achat sur le long terme, par exemple.
Vous avez l'air plus optimiste que certains de vos confrères, plus critiques sur les crypto-actifs.
Les monnaies vont et viennent, dans l'Histoire. Qui sait s'il y aura encore des dollars ou des francs dans 200 ans? Ce sont les échanges qui permettent de légitimer la monnaie. A l'exception de l'or, qui était utilisé comme monnaie puis est devenu une valeur refuge, aucune n'a survécu aux siècles.
Le bitcoin est la première crypto-monnaie créée, ce qui la rend attractive pour beaucoup. On a créé de l'attachement auprès d'elle, de la confiance et donc, de la valeur. Elle est immuable et son offre est limitée, ce qui en fait une bonne réserve de valeur. En Suisse, on peut déjà payer via sa carte de crédit avec des bitcoins via certaines banques en ligne. Quand des patrons commenceront à verser le salaire de leurs employés en bitcoins, on verra une vraie différence. Et quand les grands groupes prendront ce tournant, ce sera acté.