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Le frein à l'endettement trouve ses limites en Suisse

La Suisse risque de tomber de son paradis financier sous l'ère Karin Keller-Sutter.
La ministre des Finances, Karin Keller-Sutter, est en charge du frein à l'endettement du pays.Image: Shutterstock/keystone/watson
Analyse

La Suisse va être expulsée du «paradis»

Le frein à l'endettement a garanti la stabilité financière à la Suisse. Mais aujourd'hui, les dépenses supplémentaires en Suisse et à l'étranger risquent d'être importantes. La ministre des Finances, Karin Keller-Sutter, doit relever le défi.
10.09.2023, 16:1610.09.2023, 20:35
Peter Blunschi
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Pour beaucoup, la Suisse est un vrai paradis en matière de politique financière, notamment grâce à des impôts bas et un faible endettement. Nous le devons en grande partie au frein à l'endettement, introduit il y a 20 ans. La population a approuvé ce dispositif juridique à 85% en 2001. Pour le Département des Finances, ce jubilé a été l'occasion d'une cérémonie, mardi dernier, à Berne.

«C'est notamment grâce au frein à l'endettement que la Suisse a bien maîtrisé les crises de ces dernières années», a expliqué Sabine D'Amelio-Favez, la directrice de l'Administration fédérale des finances (AFF). Pourtant, le projet a été «énormément contesté» au Parlement, s'est souvenu le ministre des Finances de l'époque, Kaspar Villiger, dans une allocution pleine d'humour.

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Karin Keller-Sutter et Kaspar Villiger lors de la cérémonie d'anniversaire du frein à l'endettement.Image: keystone

Les dettes ne sont pas «un fléau», a souligné le Lucernois de 82 ans, mais sont au contraire «indispensables» pour favoriser la prospérité. Mais dans une démocratie, il y a une tendance à l'endettement, et en période de prospérité, les gens deviennent insouciants. Son prédécesseur, Otto Stich (PS), avait déjà lutté – en vain – contre la propension du Parlement à dépenser.

Plus de dépenses malgré le frein

La crise économique des années 1990 a, en outre, contribué à une forte augmentation de la dette publique. Le frein à l'endettement a été introduit pour y remédier. Il n'est pas rigide, mais a un effet anticyclique, comme l'a souligné Kaspar Villiger. En période de crise, l'Etat peut ainsi faire des déficits qui doivent être compensés par des excédents en période de croissance.

Ce système a fonctionné ces 20 dernières années grâce à une longue phase de taux d'intérêt bas, voire négatifs, après la crise financière de 2008, et grâce à des recettes florissantes. Depuis l'introduction du frein à l'endettement, les dépenses de l'Etat sont passées de 50 à plus de 80 milliards de francs, a déclaré l'actuelle ministre des Finances Karin Keller-Sutter.

Dettes spéciales à cause du Covid

«Aucun domaine politique, à l'exception de la défense nationale, n'a été désavantagé par le frein à l'endettement», a déclaré son collègue du PLR Kaspar Villiger. Ainsi, les dépenses sociales ont encore augmenté. En outre, le Parlement peut décider de dépenses extraordinaires avec une majorité qualifiée (c'est-à-dire au moins la moitié des membres du Conseil national et du Conseil des Etats).

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Pour faire face à la pandémie, la Confédération a décidé de dépenses extraordinaires de près de 30 milliards de francs.Image: keystone

Cette exception a été introduite pour des situations imprévues telles que des récessions graves ou des catastrophes naturelles. La pandémie de coronavirus, qui a entraîné une «dette spéciale» de près de 30 milliards de francs, en est un exemple. Une règle complémentaire de 2009 exige que ces dettes soient compensées à moyen terme par le budget ordinaire.

«Nouvelles dépenses et requêtes»

L'année dernière, le Conseil fédéral a fixé l'horizon 2035 pour que la compensation soit faite, mais il semble peu probable que cela ait lieu à temps. Pour la NZZ, le frein à l'endettement pourrait, aujourd'hui, être confronté, après 20 ans de bon fonctionnement, à son plus grand obstacle.

«La Confédération est confrontée à une multitude de nouvelles dépenses et requêtes»
Karin Keller-Sutter

Le Conseil fédéral veut, par exemple, comptabiliser, à titre exceptionnel, une injection de capital de 1,2 milliard de francs pour les CFF en 2024. Et les prochaines années risquent d'être marquées par des dépenses supplémentaires conséquentes en Suisse et à l'étranger, au grand dam de la ministre des Finances.

Der Chef der Armee, Korpskommandant Thomas Suessli, im Interview vor einem Piranha IV bei der Praesentation der Armeebotschaft 2023, am Donnerstag, 23. Maerz 2023 auf dem Waffenplatz in Thun. (KEYSTON ...
L'armée va recevoir plus d'argent. Thomas Süssli, le chef de l'armée, sait déjà ce qu'il veut en faire.Image: keystone
  • L'armée a longtemps été la principale victime du frein à l'endettement. Aujourd'hui, le vent a tourné. Au vu de la guerre en Ukraine, le Parlement a décidé de porter les dépenses de l'armée à 1% du produit intérieur brut d'ici 2030, soit de les faire passer de près de six à huit milliards de francs par an. Le Conseil fédéral ne compte atteindre cet objectif qu'en 2035.
  • La Confédération participe à hauteur d'environ 20% aux dépenses de l'AVS. En raison de l'évolution de la démographie, celles-ci vont continuer d'augmenter. Karin Keller-Sutter aimerait ralentir cette progression, mais une proposition d'économie modérée a rapidement été communiquée aux médias.
  • Au Parlement, des demandes pour que la Confédération dépense plus d'argent pour les crèches et les réductions de primes (avec l'initiative du PS sur les primes comme moyen de pression) sont en suspens. Dans les deux cas, le Conseil des Etats se montre réticent, mais des dépenses supplémentaires sont néanmoins prévisibles.
  • La protection du climat a également un coût. La loi sur le climat adoptée en juin prévoit deux milliards de francs pour le remplacement des chauffages au mazout, au gaz et électriques. A cela s'ajoutent des subventions pour le développement des énergies renouvelables.
  • Lors de la conférence sur le climat de l'année dernière à Charm el-Cheikh, il a été décidé de créer un fonds destiné à indemniser les pays pauvres pour les dommages climatiques causés par les pays industrialisés. Cela concerne la Suisse. On ne sait pas encore combien il faudra payer.
  • La Suisse est sous pression d'autres pays et sera sollicitée pour la reconstruction de l'Ukraine. Si elle ne confisque pas l'argent russe, elle devra payer elle-même. Les 1,8 milliard de francs débloqués par le Conseil fédéral seront loin d'être suffisants.
  • La Suisse devra probablement, à l'avenir, payer une contribution plus élevée à l'Union européenne au titre de la cohésion. La Commission européenne a formulé des attentes en ce sens et les syndicats espèrent ainsi obtenir des concessions sur le thème de la protection des salaires.

Cette liste de dépenses n'est pas exhaustive. Des temps difficiles s'annoncent pour Karin Keller-Sutter. «Nous sommes à un tournant», a déclaré la ministre des Finances mardi, à Berne. Dans le budget 2024, le frein à l'endettement peut encore être respecté, mais dans les années à venir, des mesures d'économie sont à prévoir.

«Le plus strict du monde»

Pour les voix critiques, le frein à l'endettement fait partie du problème. Ce dispositif juridique est «le plus strict du monde», a déclaré l'économiste lausannois Marius Brülhart lors d'une table ronde. En Allemagne et en Autriche, où un frein a été introduit sur le modèle suisse, un léger nouvel endettement est autorisé. Mais la Suisse exige des excédents.

Bundesraetin Karin Keller-Sutter, EFD, spricht an der Jubilaeumsfeier "20 Jahre Schuldenbremse, sie bewaehrt sich noch immer, wie die Schuldenbremse den Staat krisenresistent macht", am Dien ...
Pour Karin Keller-Sutter, le frein à l'endettement est un grand succès.Image: keystone

Marius Brülhart souhaiterait disposer d'une plus grande marge de manœuvre pour les baisses d'impôts, mais cela semble peu probable. Un représentant de la Confédération a déclaré à watson qu'il faut aussi réfléchir à des recettes supplémentaires. La TVA suisse, par exemple, est faible en comparaison internationale. Il est difficile de respecter autrement le frein à l'endettement.

Le frein à l'endettement a peut-être été un succès au cours des 20 dernières années, mais il atteint aujourd'hui de plus en plus de limites. Les combines telles que les dépenses extraordinaires permettent tout au plus de gagner du temps. Au bout du compte, l'addition reste salée, et la Suisse risque d'être chassée du «paradis» de la politique financière.

Adapté de l'allemand par Tanja Maeder

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