La promesse de l'impôt minimum faite par l'Organisation de coopération et de développements économiques (OCDE) semblait séduisante, surtout en période de récession. A la suite d'une réforme, l'augmentation de l'impôt sur les sociétés devait rapporter chaque année entre 1 et 2,5 milliards de francs supplémentaires dans les caisses de la Confédération et des cantons. Mais dans la réalité, l'apport est nettement plus faible. C'est ce que montre une nouvelle étude de Deloitte publiée jeudi.
Le cabinet de conseil a examiné les 50 plus grandes entreprises regroupées dans les deux indices boursiers suisses, le SMI et SMIM, un peu plus large. Selon cette étude, ces entreprises ne verseront «probablement» que 243,2 millions de francs d'impôts complémentaires en 2024. Voilà qui représente seulement 8% des estimations les plus optimistes.
Selon les nouvelles règles de l'OCDE, tous les grands groupes internationaux dont le chiffre d'affaires annuel est supérieur à 750 millions d'euros doivent verser au moins 15% d'impôts sur leurs bénéfices, et ce dans tous les pays où ils ont des sièges et des filiales. L'objectif est d'éviter que les grands groupes ne paient quasiment plus d'impôts, en transférant leurs bénéfices dans des paradis fiscaux.
Le montant de 243,2 millions de francs calculé par Deloitte peut encore légèrement augmenter, car pour certaines entreprises, comme le groupe de produits de luxe Richemont, ou le chocolatier Barry Callebaut, l'exercice ne correspond pas à l'année civile, et les comptes ne sont donc pas encore disponibles. C'est pourquoi elles n'ont pas été prises en compte dans l'analyse de Deloitte. Expert fiscal chez Deloitte Thomas Hug explique:
Seuls 15 groupes, soit environ un tiers, sont pour l'instant concernés par le nouveau régime de l'OCDE.
Il ressort clairement de l'analyse que la charge fiscale est très inégalement répartie entre ces entreprises. Certaines entreprises paient des montants de quelques centaines de milliers de francs, tandis qu'un seul groupe est confronté à une facture fiscale supplémentaire de 189 millions de francs, et assume à lui seul plus des deux tiers du montant total. Il s'agit du géant pharmaceutique Roche.
La «très grande majorité des impôts complémentaires» des entreprises examinées sont payés par les secteurs pharmaceutique, financier et des techniques médicales, indique Deloitte. Les autres branches ne sont guère concernées. De plus, les impôts complémentaires n'ont eu «jusqu'à présent qu'un effet limité» sur la charge fiscale effective des 15 groupes concernés - à une exception près. Chez Roche, selon l'évaluation du cabinet de conseil, «la charge fiscale effective a augmenté de plus de deux points de pourcentage».
Les recettes fiscales supplémentaires devraient être plus élevées à l'avenir. Le cabinet de conseil explique que le faible taux d'entreprises concernées et les recettes fiscales peu élevées est dû au fait que les nouvelles règles de l'OCDE sont actuellement dans une phase transitoire, qui court jusqu'à fin 2026. Ces règles transitoires ont pour conséquence que les groupes, pour autant qu'ils remplissent certaines conditions, ne doivent pour l'heure pas payer d'impôts complémentaires.
Mais selon Thomas Hug, savoir si les recettes provenant des impôts supplémentaires seront effectivement plus élevées après 2026 «dépendra aussi d'autres pays et de leur décision d'introduire l'impôt minimum de l'OCDE».
L'objectif de l'accord négocié en 2021 avec environ 140 pays stipulait que tous y participent. En revanche, les Etats-Unis, qui avaient initialement lancé la réforme fiscale, avaient déjà exprimé des réserves sous le gouvernement de Joe Biden. Quant à Donald Trump, il a annoncé après sa prestation de serment qu'il se retirait de l'accord sur l'impôt minimum de l'OCDE. Son secrétaire au Trésor, Scott Bessent, devait présenter dans les 60 jours une «liste d'options pour des mesures de protection ou d'autres actions» si les entreprises américaines devaient être affectées «de manière disproportionnée» par d'autres pays.
Afin de combler les éventuels manquements fiscaux de «ses» grandes entreprises, la Suisse a introduit un impôt national complémentaire pour début 2024. En outre, la Suisse s'est engagée à prélever également des impôts supplémentaires auprès des filiales étrangères de groupes suisses à partir de 2025, si celles-ci ne respectent pas les 15% prescrits sur le lieu de leur siège, se si le pays concerné ne participe pas à l'impôt minimum de l'OCDE.
Traduit de l'allemand par Joel Espi