L'Inde est l'un des plus grands producteurs de sucre au monde. L'or blanc de la canne à sucre provient principalement de l'Etat du Maharashtra, dans l'ouest de l'Inde. C'est de là que les géants de la boisson, comme Coca-Cola et Pepsi se procurent la matière première qui sucre leurs boissons gazeuses.
Une enquête de grande envergure du New York Times a toutefois récemment révélé les aspects amers de ce doux commerce: les conditions de travail dans les plantations de canne à sucre sont catastrophiques.
Chaque année, près d'un million de personnes se déplacent de champ en champ au Maharashtra pour la récolte. Elles vivent dans des tentes, sans eau courante ni électricité. Les hystérectomies, c'est-à-dire l'ablation de l'utérus, sont très répandues chez les femmes. Selon des sondages, entre 20% et 30% des femmes dans les plantations sont amenées à faire cette opération.
Les ouvrières subissent cette opération à haut risque pour éviter que leurs règles les empêchent de travailler. En effet, si elles ne se présentent pas aux champs, elle ne peuvent non seulement pas rembourser leurs dettes envers leur employeur, mais elles risquent aussi souvent de devoir payer une amende. A cela s'ajoute le fait que le travail des enfants et les mariages forcés sont monnaie courante dans les plantations.
Hystérectomie, dettes, mariages forcés, travail des enfants – tout cela est étroitement imbriqué l'un dans l'autre dans les plantations de sucre indiennes. Il faut deux personnes – généralement un couple – pour pouvoir récolter suffisamment de cannes à sucre. Des jeunes filles mineures sont donc forcées de se marier illégalement. Elles contractent des dettes pour financer le mariage, qu'elles doivent à leur tour rembourser. Et pour pouvoir travailler le plus possible, elles se font enlever l'utérus – une procédure risquée qui implique souvent de nouvelles dettes. Le cercle vicieux continue de tourner, pendant des années, des décennies.
Pepsi et Coca-Cola ne sont pas les seuls à être impliqués dans cette affaire. Le géant des matières premières Louis Dreyfus Company, dont le siège opérationnel se trouve à Genève, participe aussi à ce commerce. L'entreprise est dirigée par Margarita Louis-Dreyfus, l'ex-femme de l'ancien président de la Banque nationale suisse Philipp Hildebrand. Le groupe réalise un chiffre d'affaires annuel de plus de 50 milliards de dollars et expédie 80 millions de tonnes de produits agricoles, comme le café, le riz ou justement le sucre.
Les données de la plateforme commerciale internationale Panjiva montrent que la Louis Dreyfus Company a également fait le commerce de sucre en provenance du Maharashtra. Une évaluation du collectif de recherche WAV a révélé qu'entre 2019 et 2023, la multinationale a enregistré plus de 1300 livraisons de sucre qui provenait de cette région aux conditions de travail préoccupantes. Ce chiffre est supérieur à celui de tous les autres Etats indiens réunis. L'enquête a été commandée par la Coalition pour des multinationales responsables, qui s'engage à ce que les grandes entreprises soient davantage tenues responsables de leurs actions.
Les données montrent en outre qu'en 2019 et 2020, Louis Dreyfus Company a cumulé plus de 80 livraisons provenant d'un moulin à sucre indien appelé Dalmia Bharat Sugar. Ce moulin fournit également Coca-Cola et est emblématique des abus révélés par le New York Times. Un employé qui recrute des coupeurs de canne à sucre pour ce moulin a souligné ouvertement:
Malgré cela, le moulin Dalmia a reçu un certificat de l'organisation Bonsucro selon lequel le sucre était produit de manière conforme aux droits de l'homme, exempt de travail des enfants et de servitude pour dettes. Cela ressemble fort à un mensonge, mais les chefs d'entreprise n'ont montré aux inspecteurs que des entreprises modèles où tout semblait en ordre.
Les révélations du New York Times mettent la pression sur les acheteurs de ce sucre, comme Coca-Cola ou Pepsi: il faut qu'ils agissent. Les caisses de pension américaines font également pression dans ce sens. La société Louis Dreyfus indique avoir adapté sa manière de faire:
Le groupe ne s'exprime toutefois pas sur l'ampleur des livraisons de sucre des années précédentes.
La société Louis Dreyfus souligne qu'elle est «consciente qu'il existe des cas inquiétants concernant les droits de l'homme dans la production de canne à sucre en Inde». Elle chercherait notamment à étendre son programme d'approvisionnement responsable dans le pays. L'année dernière, le groupe a procédé à une analyse des risques à l'échelle mondiale. Cela lui a permis déterminer des mesures nécessaires, entre autres, pour assurer la conformité des chaînes d'approvisionnement en sucre en Inde.
La Louis Dreyfus Company insiste qu'elle a édicté un code de conduite international et qu'elle donne des directives sur les conditions de travail et les droits de l'homme:
Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci