Des bancs de l'université de Stanford à ceux du tribunal, il n'y a parfois qu'un (faux) pas. Une petite décennie. Et une passion pour les chiffres.
Caroline Ellison n'a pas 30 ans, traîne un look d'éternelle ado et se trouve déjà au cœur de l'une des plus «grandes fraudes financières de l'histoire américaine». Un nouveau record à accrocher au palmarès de cette mathématicienne brillante, addict à Tumblr et aux amphétamines, aussi discrète que son ex petit ami, Sam Bankman-Fried, 30 ans, est «une pom-pom girl publique agressive et extravertie».
Cette semaine, accusée d'avoir joué un rôle indispensable auprès de son ex pour avoir escroqué clients, investisseurs et prêteurs à hauteur de 1,8 milliard de dollars, elle a plaidé coupable de sept chefs d'accusation.
Depuis l'effondrement de l'empire qu'elle a contribué à bâtir, FTX, l'existence virtuelle de Caroline Ellison s'est réduite comme peau de chagrin. Son profil LinkedIn, son blog, ses photos et ses coordonnées ont disparu de la surface du web. Voici ce que l'on sait.
Tout a commencé en 1994, dans la région de Boston. Caroline Ellison grandit au milieu des chiffres et d'une famille d'économistes réputés au prestigieux Massachusetts institute of technology (MIT). On lui lit le premier tome d'Harry Potter quand elle n'a que trois ans. Elle dévore le second volume toute seule deux ans plus tard. (Si vous vous posiez la question, Caroline se définit comme une Serdaigle.)
Pendant que les autres enfants se distraient en empilant des Lego, Caroline Ellison s'amuse avec les statistiques bayésiennes. A huit ans, en guise de carte d'anniversaire, elle soumet à son père une étude de marché sur les prix des peluches de Toys'R'Us. Pas surprenant, donc, que cette étudiante décrite par ses professeurs comme «brillante, concentrée, très matheuse» fasse ses classes au sein de la prestigieuse Université de Stanford.
Entre deux cours, cette lectrice assidue poste compulsivement sur son Tumblr désormais disparu, worldoptimization. Des posts aussi variés que des critiques de livres à des réflexions personnelles sur le polyamour, le rôle des sexes dans la société et la révolution sexuelle, «qui n'aurait jamais dû avoir lieu».
Son diplôme sous le bras, Ellison prend vaillamment le chemin de Wall Street. Au sein du cabinet de trading Jane Street, elle est coachée par un certain Sam Bankman-Fried, entrepreneur crypto de deux ans son aîné, désarmant, distant et tout aussi socialement inadapté qu'elle.
L'année suivante, c'est autour d'un café en Californie que son ancien collègue lui soumet une proposition qui va changer sa vie: rejoindre Alameda Research, nouveau fonds spéculatif de monnaie numérique qu'il vient de fonder à Berkeley.
Quelques mois plus tard, Caroline se glisse dans les cartons de déménagement de la société vers Hong Kong, terre d'accueil favorable aux entreprises de la crypto. Entre deux échanges de monnaies agressifs et frénétiques, la seule femme de l'équipe laisse ses collègues se trucider sur League of legends pour suivre en direct le mariage du prince Harry et de Meghan Markle.
En octobre 2021, pour mieux se concentrer sur son nouveau projet de société, FTX, Sam Bankman-Fried nomme Caroline Ellison et un autre trader à la tête d'Alameda. Son co-PDG abandonne le poste, «difficile, épuisant et dévorant», moins d'un an plus tard. A seulement 28 ans, Caroline Ellison se trouve seule maîtresse à bord.
Les sommes qu'elle négocie chaque jour donnent le tournis. Jusqu'à cinq milliards de dollars en 24 heures. Alors, pour suivre le rythme et la cadence, difficile de résister à la tentation d'un petit stimulant.
Ce n'est de loin pas sa seule confession farfelue sur les réseaux sociaux.
Elle multiplie aussi les tirades sur le polyamour, en vogue dans le penthouse des Bahamas, complexe d'appartements de luxe où la société a emménagé en 2021, qu'elle compare à un «harem impérial chinois». Les rapports entre les colocataires de cette demeure somptueuse de l'île de New Providence, parmi lesquels Sam Bankman-Fried et neuf autres collaborateurs de FTX, sont assez nébuleux.
Selon CoinDesk, les dix colocs auraient été «intimement impliqués». Leurs transactions ont seulement révélé des versements pour des denrées comme du «chou frisé, du gaz et de la lessive», note le New York Times. A l'image des relations de ses dirigeants, la connexion entre Alameda et FTX demeure obscure - mais suffisamment étroite pour que l'effondrement de FTX entraîne celui de sa grande sœur.
Au lendemain du dépôt de bilan, c'est une Caroline Ellison «en larmes» qui a présenté ses excuses aux employés sous le choc. Selon une personne anonyme proche du dossier au New York Times, la CEO aurait avoué la fraude. Alameda aurait prélevé des fonds de clients de FTX pour combler les déficits de ses propres comptes.
Arrêté le 12 décembre au terme d'un véritable blitz médiatique, son ancien compagnon Sam Bankman-Fried campe sur sa position. Extradé des Bahamas pour être jugé dans le district sud de New York, il affirme toujours n'avoir rien fait de mal et n'avoir jamais eu l'intention de frauder qui que ce soit.
Reste que les anciens compagnons sont désormais accusés d'avoir orchestré la plus vaste fraude de la décennie - qui, après un penthouse à 40 millions de dollars, pourrait leur valoir de partager une colocation dans une prison américaine.