La Banque centrale européenne (BCE) a - comme prévu - poursuivi ses baisses de taux d'intérêt. La présidente, Christine Lagarde, l'a confirmé jeudi. Le taux auquel les banques peuvent déposer leur argent auprès de la BCE passe de 3,75 à 3,5%.
Jusque-là, pas de grosse surprise. C'est la situation inverse qui aurait étonné les observateurs, pour qui un recul semblait quasiment acté. La question reste en revanche de savoir jusqu'où et à quelle vitesse cette tendance va se poursuivre. Pour la Suisse, la Banque nationale et son nouveau président Martin Schlegel, cela sera décisif.
Car les taux directeurs plus bas de la BCE affaiblissent l'euro et renforcent le franc - avec toutes les conséquences que l'on connaît. Les consommateurs s'en réjouissent, ils paieront moins cher les produits et services importés de l'étranger. Les voyageurs suisses se frottent les mains en songeant à leurs dépenses moindres dans les hôtels et les restaurants en France ou en Italie.
Mais en tant que salarié, la situation peut devenir désagréable. Par exemple, si l'on est employé par un détaillant helvétique qui voit sa clientèle s'enfuir vers un pays voisin. Ou dans une entreprise industrielle dont le prix des marchandises augmente, les rendant moins attractives pour la zone euro. Ou dans un hôtel valaisan, dont les clients français et suisses se tournent vers la France, plus abordable.
La BNS et son responsable Martin Schlegel doivent désormais trouver un moyen de naviguer entre ces intérêts contradictoires. La loi leur impose toutefois un cap. Ils doivent maintenir la stabilité des prix, ce qui se traduit par une fourchette de 0 à 2% d'inflation. Si le franc devient trop fort et que l'inflation tombe en dessous de cette frange, la BNS doit réagir soit en abaissant son taux directeur, soit en vendant des devises.
Ainsi Martin Schlegel devra anticiper le scénario d'un abaissement rapide des taux directeurs dans les mois à venir. Evidemment, personne ne sait si Christine Lagarde le fera - elle l'ignore elle-même. Car la cheffe de la BCE doit attendre de voir comment évolue l'inflation.
Ce qui est sûr, en revanche, c'est que l'inflation dans la zone euro a très vite reculé jusqu'à présent. En octobre 2022, elle culminait encore à 10,6%. Un peu plus d'un an après, en septembre 2023, elle avait diminué de moitié, soit 5,2%. Un an encore plus tard environ, en août 2024, elle n'atteignait plus que 2,2%. L'inflation baisse donc rapidement, malgré des taux directeurs européens encore très élevés.
Les économistes de la banque J. Safra Sarasin les situent «dans une zone très clairement restrictive» - autrement dit, ils affaiblissent sérieusement l'économie. En août, la zone euro n'a enregistré que 0,2% d'une croissance timide - le niveau a même diminué en Allemagne. Certains experts craignent une récession si la BCE n'agit pas sous peu.
Tout cela plaide en faveur d'une baisse significative et rapide des taux directeurs par l'ancienne patronne du FMI. Chez J. Safra Sarasin, on parle d'un «potentiel de baisse des taux encore à développer». La banque américaine Goldman Sachs s'attend à ce que la BCE ait ramené son taux de dépôt à 2% d'ici juillet 2025.
Cela entraînera une appréciation du franc, comme cela a toujours été le cas par le passé. Et la BNS devra s'adapter, comme elle l'a toujours fait - vendre des francs, acheter des euros et abaisser encore et toujours son taux directeur. J. Safra Sarasin prévoit trois diminutions d'un quart de point de pourcentage chacune:
Il ne resterait plus que 0,5 des 1,25% actuels.
Si le franc venait à moins s'apprécier, les consommateurs auraient certes moins de raisons de sourire, mais cela permettrait aussi à de nombreux travailleurs de ne pas trembler pour leur emploi. Le niveau général des taux d'intérêt baisserait par ailleurs en Suisse. Cela agacerait les banques, car les prêts s'avèrent nettement moins rentables dans un contexte de taux faibles.
Cette situation ferait le beurre de ceux qui ont une dette hypothécaire, puisque leurs mensualités diminueraient. Les locataires en profiteraient, eux aussi, puisque le taux d'intérêt hypothécaire de référence, et donc leur loyer baisseraient. Et peut-être même que cela permettrait de relancer le secteur de la construction et d'atténuer ainsi quelque peu la pénurie de logements.
Traduit de l'allemand par Valentine Zenker