C'est un rapport sombre que Mario Draghi a remis lundi à la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen. Selon l'ancien président de la Banque centrale européenne (BCE), entré dans l'histoire comme le sauveur de l'euro et «super Mario», l'UE est confrontée à un «défi existentiel». Le vieux continent risque de se faire distancer économiquement par les Etats-Unis et la Chine. Les Européens et les Européennes deviendraient de plus en plus pauvres en termes relatifs.
Il n'est pas encore trop tard pour redresser la barre. Mais il faut une offensive en matière d'investissement, et ce, sous la forme de pas moins de 800 milliards par an, affirme Mario Draghi dans son rapport. Il a comparé la situation à celle qui prévalait après la Seconde Guerre mondiale. A l'époque, le plan Marshall avait relancé l'économie européenne grâce à une avalanche de milliards de dollars. C'est ce dont l'Europe a besoin aujourd'hui.
La principale raison pour laquelle l'UE est de plus en plus à la traîne, selon Draghi, est le manque de productivité. Certes, c'est un problème depuis deux décennies déjà. Mais lorsque la mondialisation tournait encore rond, l'Europe pouvait masquer le recul de sa productivité grâce à la production bon marché chinoise et des excédents d'exportation. Mais le Covid et les tensions géopolitiques ont tout chamboulé.
L'écart de productivité proviendrait principalement de l'économie numérique. Selon Draghi, «l'Europe a raté la révolution numérique déclenchée par Internet et les gains de productivité qui en découlent». L'industrie locale est «statique» et date en grande partie du siècle précédent. En effet, seules quatre des 50 plus grandes entreprises technologiques mondiales sont des entreprises européennes, c'est précisément dans le secteur technologique qu'il y a aujourd'hui et qu'il y aura demain le plus de création de valeur.
Ce n'est pas qu'il n'y ait pas de talents en Europe. Bien au contraire. Le problème, c'est qu'ils partent bien trop souvent vers les Etats-Unis. Depuis 2018, un tiers des «licornes» européennes, c'est-à-dire des entreprises dont la valeur boursière est supérieure à un milliard, se sont installées aux Etats-Unis. Et ce, parce qu'il est facile et rapide d'y gagner de l'argent. Il en va tout autrement en Europe, où le marché est fragmenté par les frontières des États nationaux. Pour Mario Draghi, il est donc urgent que les Etats membres agissent et unissent les différents marchés européens.
Une autre raison de la faible productivité réside toutefois dans les prix de l'énergie, qui sont deux à trois fois plus élevés qu'aux Etats-Unis et qui ralentissent la transition verte. Mario Draghi appelle à une réforme radicale de la formation des prix sur le marché de l'énergie, qui est toujours orienté vers les énergies fossiles comme le gaz et le pétrole. Pour aider les énergies vertes à se développer, leurs avantages en termes de prix doivent également être répercutés sur les consommateurs.
Mais surtout, la politique climatique européenne doit enfin être correctement coordonnée. L'Italien cite comme exemple négatif le fait que l'UE ait décidé d'éliminer le moteur à combustion d'ici 2035, mais n'ait pas pris les mesures nécessaires pour développer les réseaux de recharges électriques d'ici là.
De manière générale, l'homme de 77 ans constate de gros problèmes de coordination dans la politique européenne. Contrairement aux Etats-Unis ou à la Chine, où les politiques industrielles, commerciales et économiques extérieures sont étroitement coordonnées, l'UE, avec sa polyphonie de 27 Etats, ne dispose pas d'une approche commune. Il est donc temps de procéder à des réformes «radicales» pour que l'Europe ne reste pas à la traîne de ce qu'elle peut réaliser en tant que communauté. Il l'assure:
Ce qui fera le plus parler, c'est que Mario Draghi propose, pour financer son plan Marshall, la création d'une nouvelle dette commune de l'UE, sur le modèle du fonds de reconstruction Covid-19 de 750 milliards. L'argent privé ne suffira pas à lui seul pour faire face aux défis massifs.
Le thème des «Eurobonds» est hautement explosif et divise l'Europe entre les pays du nord et ceux du sud, au moins depuis la crise grecque. Le fait que les propositions de réforme de Mario Draghi interviennent à un moment où le centre politique de l'Europe est paralysé par les crises en France et en Allemagne ne facilite pas les choses.
Peu après la présentation du rapport, le ministre allemand des Finances Christian Lindner s'est déjà exprimé:
Le chemin sera long.
Traduit et adapté par Noëline Flippe