La méthode Trump a fonctionné avec l'Union européenne. Après avoir brandi la menace de taxes élevées pour l'économie du Vieux-continent, le président américain et la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen ont annoncé dimanche la signature d'un accord fixant les droits de douane à 15%.
Et la Suisse, dans tout ça? Souvenez-vous: en avril dernier, la présidente de la Confédération Karin Keller-Sutter annonçait, triomphante, avoir gagné des concessions auprès de Trump après un long appel téléphonique, avec une taxe de base temporaire de 10%. C'était à Guy Parmelin, responsable du Secrétariat à l'économie (SECO) de signer le document final. Et puis? Et puis, plus rien. Que va-t-il se passer, maintenant que l'Union européenne nous a «devancés»? Sergio Rossi, professeur d'économie à l'université de Fribourg, a répondu à nos questions.
Quel impact la signature de l'accord entre les Etats-Unis et l'Union européenne devrait-elle avoir sur les négociations avec la Suisse?
Cette annonce ne devrait pas changer grand-chose dans les négociations avec Berne. L'Union européenne a une force de frappe économique beaucoup plus importante que la Suisse. Je note toutefois que l'UE a mis en avant une machine importante de négociations pour arriver à cet accord.
La Suisse semblait bien partie pour signer à l'heure, avec le coup de téléphone entre Karin Keller-Sutter et Donald Trump, et la voici reléguée par de nombreux pays (Japon, Vietnam, Indonésie) dans la «course aux signatures». S'agissait-il juste d'un gros coup de comm'?
Oui, on dirait. Le canal politique était pourtant ouvert, mais il ne suffit pas de téléphoner à Trump quand les choses vont mal. Pour la Suisse, le rapport de force est clairement asymétrique face aux Etats-Unis, contrairement à l'Union européenne, qui a par ailleurs mis les moyens pour sa négociation. Berne aurait pu engager des dépenses publiques raisonnables pour négocier.
En Suisse, on a tendance à laisser les entreprises privées se débrouiller. La pharma y arrive plutôt bien, parce qu'elle dispose de leviers importants. Mais le Conseil fédéral aurait été bien inspiré de s'y mettre et de faire comme la Commission européenne. Dans tous les cas, on devrait en savoir plus très bientôt, puisque le délai du 1er août, c'est vendredi. Nos politiques n'ont pas d'intérêt à s'exposer avant cette date.
Le premier chiffre avancé pour la Suisse était de 31%, puis baissé temporairement après le coup de téléphone de Karin Keller-Sutter à 10%. Est-ce crédible de rester sur ce chiffre?
Non, je ne pense pas. Vous imaginez l'Union européenne, avec son poids économique, obtenir 15%, et la Suisse uniquement 10%? Au niveau de la réputation, ce n'est pas très bon. Berne aurait au contraire tout intérêt à revendiquer le même traitement que pour l'UE. Il est possible que quelques virgules bougent encore çà et là, mais je ne pense pas que ce sera en dessous de 15%. De plus, Trump accuse la BNS de manipuler le taux de change du franc suisse face au dollar et de mener une guerre du change. C'est une accusation erronée, mais il faut que le Conseil fédéral le convainque du contraire.
S'il persévère avec cette idée, ce sera difficile pour Berne de fixer le taux à 15% et il ne serait pas surprenant que ce soit plus proche de 20% — peut-être avec des exceptions pour la pharma.
Le principal partenaire de la Suisse est, logiquement, l'UE. Allons-nous souffrir de «doubles» droits de douane?
Oui, car les chaînes de valeurs et de production européennes sont liées à la Suisse. Nous vendons, par exemple, des composants pour les voitures européennes qui seront vendues avec les droits de douane de 15% aux Etats-Unis. La Suisse va indirectement souffrir de cette application via ses relations commerciales avec l'UE.
Trump taxe ses partenaires sur une logique de négociation commerciale, pas forcément selon la valeur économique réelle. Est-ce vraiment possible d'anticiper le résultat des négociations?
Donald Trump n'a pas fini de nous surprendre. Les négociations sont encore ouvertes pour la Chine, le Canada et le Mexique.
Il agit comme un employeur le ferait avec un salarié: en théorie, les deux sont sur un pied d'égalité pour fixer le salaire, mais il est évident que c'est l'employeur qui tient le couteau par le manche. Il a le dollar de son côté, la monnaie de référence dans le monde, et la puissance de la place financière américaine. Et puis, les titres de la dette publique étasunienne ont été achetés par de nombreux pays, dont la Chine, le Japon, et plusieurs banques centrales, dont la BNS. Bref, il a quantité d'avantages financiers et aucune raison d'affaiblir l'économie américaine. Trump peut encore nous surprendre d'ici à la fin de son mandat.
Quels sont les atouts de la Suisse pour négocier face à Donald Trump?
La Suisse est une petite économie ouverte. Nous n'avons plus le secret bancaire, nos atouts sont la pharma et nos exportations vers les Etats-Unis. Face à cela, nous importons peu, mis à part des services concernant la technologie de l'information, la communication et le divertissement. Les exportations suisses de machines et de technologies de pointe souffrent du franc fort, qui s'apprécie trop facilement et rend la situation difficile pour nos PME. Et il est impossible de déplacer ces industries de précision outre-Atlantique, car la main-d'œuvre qualifiée y est trop chère.
L'industrie pharmaceutique est, elle, beaucoup plus mondialisée. Elle a promis d'investir 100 milliards de dollars sur le territoire américain ces prochaines années. Mais encore faut-il tenir cette promesse. Et les produits de base utilisés pour confectionner les médicaments proviennent très souvent d'Inde et de Chine.
Pourrait-on même imaginer voir, dans une génération ou deux, les pharmas quitter définitivement la Suisse pour les Etats-Unis?
Les sièges sociaux vont certainement rester en Suisse, dans la région bâloise. Mais on l'a vu en Chine: la délocalisation des entreprises occidentales a permis à Pékin de développer de nouvelles compétences et technologies sur son territoire. C'est certainement également le but de Donald Trump, qui utilise ce levier pour faire pression sur les pays européens et attirer les investissements directs de l'étranger.