Avant même qu'il ne débarque dans la station grisonne, son nom était sur toutes les lèvres, sa récente élection dans l'ombre de tous les discours: Donald Trump s'est exprimé au World economic forum (WEF) de Davos ce jeudi. Son discours était particulièrement attendu.
En visioconférence depuis Washington, le républicain a égrené ses thématiques de prédilection. Après avoir évoqué le début d'un nouvel «âge d'or de l'Amérique», il a répété ses promesses de campagne. Sur le volet économique, en réponse à une question du CEO de la Bank of America, il a assuré qu'il accepterait une imposition à 15% ou moins pour les entreprises étrangères... si celles-ci se décidaient à s'implanter pour produire aux Etats-Unis. Dans le cas contraire, des droits de douane seront appliqués sur les produits. Comme pour la Chine, Donald Trump dit ne vouloir qu'une «relation équitable» avec les entreprises européennes.
Pour Manfred Elsig, politologue et professeur en relations internationales au World trade institute de l'Université de Berne, «ce que Trump désire avant tout, c'est réindustrialiser son pays». Le président américain utilise l'argument des tarifs douaniers comme levier pour pousser des entreprises européennes à s'installer aux Etats-Unis, proposant au passage un an d'exemption fiscale sur les sociétés.
Voilà donc la manœuvre de Trump: faire chanter les entreprises européennes via la menace des droits de douane. Une méthode plus frontale que celle de Biden, qui préférait des subsides pour attirer les entreprises. Et au troisième jour de sa présidence, l'occasion d'envoyer un message au public européen rassemblé à Davos, habituellement sensible aux louanges du libre-échange et du «multilatéralisme».
Ce message, les décideurs de Davos l'ont compris — et ce, même avant que Trump ne prenne la parole. Dès le début de cette édition du WEF, on a pu sentir que quelque chose a changé. Les discours d'ouverture de Klaus Schwab, président et créateur du forum, de notre Karin Keller-Sutter nationale et de l'Européenne Ursula von der Leyen, donnaient le ton lundi. Quelque part entre l'avertissement et l'aveu de faiblesse, tous trois ont appelé à s'adapter à un nouvel ordre mondial en marche, sous couvert d'«adaptation» et de «compromis».
Tout cela «sans pour autant oublier les valeurs fondamentales de l'Europe», pour la présidente de la Commission européenne. Un exercice d'équilibriste à l'image du WEF de 2025, où le «multilatéralisme» cher à l'institution doit désormais faire avec le trumpisme et la rivalité des Brics, influencés par Vladimir Poutine.
«Pour tout dire, la tendance a déjà commencé il y a dix ans environ», remarque le professeur. Ursula von der Leyen et consorts «veulent montrer qu'il va falloir faire preuve de flexibilité». D'autant plus que les politiques de droits de douane de Trump «n'ont pas été suffisamment travaillées et peuvent avoir des conséquences inattendues. Cela va être compliqué pour les décideurs et les entreprises de se positionner.»
«La vague de partis populistes dont fait partie Trump fait pression sur nos démocraties libérales», estime par ailleurs le professeur. Ursula von der Leyen, en tant qu'Allemande, a d'autant plus en tête les élections fédérales de février prochain, où le parti AFD pourrait faire un score record.
Car l'évidente pirouette des huiles du WEF n'est peut-être pas destinée qu'à leur cousin américain. Les deux faces de l'Occident côtoient le «monde multipolaire» prôné par Vladimir Poutine au sein des Brics, le rival économique désormais naturel des membres du WEF et de son «multilatéralisme».
Multilatéralisme, monde multipolaire... les termes semblent se ressembler, mais ne représentent pas la même chose. «Depuis 1945, l'ordre "multilatéral" du monde était, quoi qu'on dise, dirigé depuis l'Occident», admet volontiers Manfred Elsig.
«Les pays occidentaux ne sont plus aussi puissants qu'autrefois et aujourd'hui, le pouvoir est plus équitablement distribué à travers le monde» — ce que représente l'ordre «multipolaire». L'expert évoque notamment l'Asie où la progression économique reste spectaculaire et le commerce et les investissements vont bon train.
C'est surtout en termes de défense et de sécurité que les Etats-Unis ont encore une avance certaine sur le reste du monde et avec laquelle ils peuvent jouer, estime le professeur.
Manfred Elsig tient toutefois à faire la différence entre les pays des Brics qui se trouvent en rupture avec l'Occident, comme la Russie ou l'Iran, et ceux qui en font partie pour des bénéfices commerciaux, comme l'Inde et le Brésil ou encore l'Indonésie, qui vient de rejoindre le groupe. «Ces pays n'ont pas forcément un agenda cohérent et naviguent à vue.»
Pour ces pays-là, ce ne sont pas les Etats-Unis ou l'Europe en tant qu'organismes politiques qui sont l'ennemi à abattre — mais la toute-puissance du dollar. Et par extension, la dominance de l'Occident dans les organisations internationales.
Il n'est pas exclu que les annonces ou les politiques de Donald Trump sur le plan économique envoient de nouveaux pays directement dans les bras des Brics.