Taxer les héritiers de PME: derrière les peurs, «des exagérations»
Ce 30 novembre, nous votons sur l'initiative «pour l'avenir» des Jeunes socialistes, visant à taxer les héritages de plus de 50 millions de francs à 50%. Dans notre précédent article, nous avons évoqué la part possible de ces fortunes liées à des entreprises familiales de moyenne taille, et dont la succession imposée pourrait poser problème au tissu économique local.
Au total, près de 9800 moyennes entreprises existent en Suisse. Contacté, l'Office fédéral de la statistique (OFS) n'est toutefois pas capable de nous dire combien d'entre elles valent plus de 50 millions. Les données, pourtant riches, de l'OFS, ne le mentionnent pas.
La conseillère nationale Franziska Ryser (Verts/SG) s'est également posé la question. En mars dernier, elle a interpellé le Conseil fédéral sur ce sujet, sans succès:
Et de préciser que «les recettes déclarées à l'Administration fédérale des contributions (AFC)», tout comme les cantons, ne fournissent aucune information sur leur valorisation. Bref, impossible de connaître, si l'initiative des Jeunes socialistes passe la rampe le 30 novembre, le nombre exact d'entreprises et d'employés potentiellement touchés.
De même concernant les riches fortunes de Suisse. Selon le comité de l'initiative, 2500 Suisses possèdent plus de 50 millions de francs. Parmi eux, combien possèdent des participations majoritaires dans des moyennes entreprises? Contactée, l'AFC ne dispose pas non plus de ces chiffres.
La valeur d'une entreprise, «une science»
Qu'il en existe 10, 50 ou 200, la question reste: dans le cas où une entreprise familiale suisse de taille moyenne serait taxée, comment se passerait, en pratique, une succession? Il faut tout d'abord savoir ce qu'elle vaut. Et rien que ça, c'est une gageure. L'économiste Marius Brülhart nous glisse, taquin:
En cas de taxation au-delà de 50 millions, ce sera aux héritiers de payer la facture et de se débrouiller avec ce qu'ils comptent faire du tout ou des parties de ce paquet. «En Suisse, l'impôt sur la fortune étant relevé chaque année, les autorités disposent d'informations assez précises lors du décès d'un particulier», explique le professeur à la Faculté des hautes études commerciales (HEC) de l'université de Lausanne.
«En conséquence, on peut effectuer les estimations fiscales assez rapidement car on connaît les détails du portefeuille de patrimoine du défunt», indique-t-il, soit l'immobilier, la participation à des entreprises, les liquidités ou encore les actions. «Dans la mesure où tout cela était déclaré», note le professeur.
Mais «une personne va rarement détenir uniquement ses participations, même si elle est majoritaire ou propriétaire unique», précise l'économiste. Dans le cas d'un patrimoine de 80 millions, une facture de 15 millions sera envoyée aux héritiers, soit 20% du patrimoine transmis.
«Pas mal d'exagérations»
N'y a-t-il pas là le risque de vendre l'entreprise à un gros groupe et de «perdre la mainmise sur les grosses PME locales», comme nous l'indiquait le professeur neuchâtelois Thierry Obrist? «Certains héritiers devront trouver des investisseurs et le cercle des propriétaires s'en retrouvera dilué», répond Marius Brülhart. «Mais cela ne veut pas nécessairement dire qu'ils perdront le contrôle de l'entreprise, cela dépend de la part héritée et de celle qu'ils seraient forcés à vendre.»
«Entre les grands groupes étrangers et les investisseurs plus proches, libre aux héritiers de décider à qui ils veulent vendre.» Il précise: «On ne parle pas ici de la boulangerie ou de la menuiserie du coin, mais des entreprises avec des moyens qui vont de toute façon produire là où les conditions sont les meilleures.»
Le vrai défi: la fuite des riches
Pour Marius Brülhart, en cas d'acceptation de la votation le 30 novembre, ce ne sont pas les entreprises en tant que telles qui seront mises en péril, mais les rentrées fiscales de certaines personnes très fortunées. Son étude, mandatée par la Confédération et publiée en 2024, indique que jusqu'aux trois quarts des 2500 personnes dont le patrimoine dépasse les 50 millions, pourraient quitter la Suisse. Avec elles partiraient de 77% à 93% de leurs fortunes respectives.
«Souvent, ces gens ont déjà des résidences secondaires ailleurs», explique-t-il, et de lâcher:
