Pourquoi le recrutement des Norvégiennes contredit le Conseil fédéral
Ce 30 novembre, la Suisse vote sur le «service citoyen» obligatoire pour tous et toutes. Les opposants et les soutiens affûtent leurs arguments: un service civil renforcé, un possible dumping face aux travailleurs — mais aussi le nombre de femmes dans l'armée.
Si le service civil obligatoire ne veut pas dire forcément l'armée, ce «choix forcé» devrait convaincre nombre de jeunes femmes qui n'auraient pas osé sauter le pas de s'engager. L'institution, qui compte environ 1,6% de femmes, aimerait augmenter cette proportion à 10%.
Pour savoir à quoi ressemblerait une armée plus féminine, pas besoin d'aller à l'autre bout du monde. Il existe un pays européen similaire à la Suisse qui a passé le pas: la Norvège. Comme nous, le pays nordique dispose d'une économie avancée et d'une haute qualité de vie. Tactiquement parlant, il s'agit de deux pays disposant d'une importante zone montagneuse et où le froid est rude en hiver.
Objectif: égalité des sexes
En Norvège, le service militaire s'est ouvert aux femmes pour tous les postes depuis 1985. En 2015, le pays rend la participation à l'armée obligatoire aux femmes, une première pour un pays de l'Otan. Le vote au parlement voit une écrasante majorité de 94% en sa faveur. La mesure pionnère de cette conscription universelle a comme objectif clair et déclaré: «l'égalité des sexes».
Dès le début, le pays innove dans d'autres domaines: il adapte les uniformes, met à disposition des tampons et garantit l'égalité salariale. Les dortoirs sont mixtes, comme en Israël, dans le but de favoriser la camaraderie et désexualiser les relations entre soldats.
Un recrutement complet
En Suisse, le conseiller fédéral Martin Pfister, en charge du Département de la Défense (DDPS), s'est pourtant prononcé en défaveur de l'initiative pour le service civil. Selon lui, en cas d'acceptation, l'armée se retrouverait avec trop de troupes sur les bras et des coûts trop élevés. Les 35 000 appelés annuels deviendraient 70 000, un chiffre que notre armée de 100 000 hommes ne serait pas capable d'encaisser.
Quid de la Norvège? Le pays nordique a trouvé une solution toute simple, qui semble avoir échappé à Martin Pfister: trier les candidatures. Lors de leur recrutement, les jeunes astreint doivent tout d'abord indiquer s'ils désirent faire l'armée ou non, indique Le Temps. Après avoir reçu un e-mail, ils doivent cocher «oui», «non» ou «ne sait pas».
La suite dépend des besoins de l'armée norvégienne. Dans le cas actuel, le nombre de conscrits intéressés dépasse celui des appelés et elle peut se permettre de sélectionner ses recrues.
Les appelés doivent d'abord passer des tests en ligne, puis des examens physiques et psychologiques, avant de participer à des entretiens. Sur les 60 000 citoyens aptes au service chaque année, entre 8000 et 10 000 conscrits sont retenus pour le service militaire. Soit moins que la Suisse, mais plus ou mois autant au regard de la population norvégienne, de 5,5 millions de personnes.
«Jegertroppen»
Une fois sous les drapeaux, les citoyennes et citoyens d'entre 19 et 44 ans doivent effectuer un service d'une durée de 19 mois: 12 mois d'entrainement et 7 mois au sein de la garde nationale. Celle-ci compte une «force de réaction rapide» de 3000 soldats, pour un total de 45 000 réservistes.
Les barèmes pour les tests physiques diffèrent légèrement, mais de peu. Car la Norvège ne pratique ni la discrimination simple, ni la discrimination positive. «Une femme, ça pense et agit différemment sur le terrain, et nous avions besoin de ces points de vue dans notre corps militaire», affirmait la générale Kristin Lund au Temps. Y compris lors d'engagements, comme en Afghanistan.
Pour les forces spéciales, le barème est exactement le même: pas question de faire des concessions pour ceux dont dépendent les missions plus sensibles. Mais Oslo a eu une bonne idée: créer un bataillon de forces spéciales entièrement féminin, le Jegertroppen (en français: troupes de chasse). Ce bataillon très médiatisé et sélectif accepte environ une candidate sur dix.
Après dix ans, le bilan est plutôt bon pour l'armée norvégienne: 33% des conscrits annuels sont des femmes, contre 13% en 2014. Du côté des militaires de carrière — environ 12 000 personnes — elles sont 21%, contre 10% en 2014. Dans la société civile, le taux d'approbation de l'armée est de 78%.
L'exemple de la Norvège a été suivi par le Danemark, en juillet de cette année: les conscrits et conscrites y sont tirés au sort pour un service militaire de onze mois. Quant à la Suède, elle a rétabli sa conscription en 2017 et en a profité pour l'imposer également aux femmes, avec un service militaire entre neuf à quinze mois.
