Successions: le vote suisse pourrait rebattre les cartes en Europe
Taxer les super-riches? L'initiative surnommée «pour l'avenir» des Jeunes socialistes a de quoi plaire, à première vue. Destinée à «financer la transition écologique» , elle propose d'imposer à 50% les successions de plus de 50 millions. Les Suisses votent ce 30 novembre.
Le concept est bien pensé et vendeur, car cela ne concerne que 0,05% de la population. Les «petits millionnaires», comme les patrons de PME, les médecins ou juristes en fin de carrière, ne sont pas concernés — contrairement aux «ultra-riches», ces familles qui se transmettent leur fortune d'une génération à l'autre. Les initiants affirment dans l'onglet «fact-checking» de leur site:
Mais quid des «moyennes entreprises», dont les patrons pèsent 60, 80, ou 100 millions — sans pour autant pouvoir rivaliser avec Roche, Novartis ou Nestlé? Selon la Confédération, ces société comptent entre 50 et 250 personnes. Elles sont près de 9800 en Suisse et concernent pas loin d'un million d'emplois. Le professeur Thierry Obrist, avocat et spécialiste en droit fiscal suisse et international à l'Université de Neuchâtel, estime que s'il s'agit d'une minorité d'entreprises, elles existent bel et bien. Les successions y sont souvent une affaire de famille, «basée sur la confiance».
Les opposants à l'initiative redoutent une «fuite des capitaux» à l'étranger en cas d'acceptation de l'initiative. Au décès d'un patron qui disposerait de 80 millions, investis dans son entreprise, que se passerait-il, par exemple? Faisons le point en Suisse et dans trois pays voisins, pour s'en rendre compte.
Quelle est la situation en Suisse?
Dans notre pays, quel genre de moyenne entreprise pèserait plus de 50 millions? Thierry Obrist pense notamment au «domaine de la construction, ou alors des sous-traitants de pointe du secteur de l'horlogerie».
- Dans la situation actuelle, en cas de succession, les choses sont simples: le taux d'imposition est de zéro. Pour ces entrepreneurs et patrons, la situation est optimale.
Si l'initiative pour l'avenir est acceptée, le résultat serait tout autre.
- Les 30 millions qui dépassent du seuil de 50 millions seraient saisis à moitié par l'Etat, lui permettant de toucher 15 millions de francs, soit 19% du total.
«L'impôt est dû par la personne physique, qui devrait soit vendre une part de la société pour payer l'impôt de succession, soit demander à la société de lui distribuer un dividende», analyse Thierry Obrist, qui déroule:
En France, ça se passe comment?
Dans l'Hexagone, un héritier direct peut toucher jusqu'à 100 000 euros sans être imposé. Après ce seuil, l'Etat français commence à taxer, à 5% d'abord. Le taux, progressif, monte d'abord rapidement jusqu'à 20% (vers 15 000 euros supplémentaires), pour atteindre 45% vers 1,8 million d'héritage.
De plus, en cas de succession non directe, comme un oncle qui voudrait transmettre son patrimoine à son neveu, «un taux de 60% est applicable». Mais l'Etat français s'est bien rendu compte que cela pourrait poser un problème aux entreprises. Des exceptions ont été ajoutées, matérialisées dans la «loi Dutreuil», votée en 2003, qui permet de déduire jusqu'aux trois quarts de la somme qui doit revenir à l'Etat.
- La taxation d'une succession impliquant une entreprise est donc comprise entre environ 11,3% — un quart du maximum — et le chiffre maximal de 25%. La somme imposée par l'Etat français pour une succession de 80 millions serait entre 9 et 20 millions.
L'Italie est très attractive
Contrairement à la France, l'Italie n'impose qu'une flat tax de 4%, applicable à partir d'un million d'euros pour les héritages directs. Le précédent impôt sur les successions, qui montait jusqu'à 27%, a été aboli par le gouvernement Berlusconi en 2001. Pour les entreprises familiales, en fonction de la participation dans la société, de larges exonérations peuvent être réalisées.
En conséquence, de nombreuses grosses fortunes étrangères ont fait de la «Botte» leur nouvelle destination — notamment le Royaume-Uni, où la flat tax est à 40% dès 325 000 livres. «L'Italie a pendant longtemps proposé un forfait fiscal. Il vient d'augmenter mais reste plus attractif que la France et l'Allemagne: environ 200 000 euros», explique Thierry Obrist.
- Pour une succession de 80 millions, l'imposition italienne serait donc située entre 0 et 3,2 millions.
En Allemagne, tout est dans le détail
La situation outre-Rhin est un poil plus subtile. La taxation sur l'héritage direct est progressive, de 7% à 30%, et commence dès 400 000 euros. Mais surtout, le pays tient mordicus à tout faire pour garder intactes ses PME familiales, cœur puissant de son économie.
Pour Berlin, la règle est la suivante: si l'Etat a la garantie de voir l'entreprise survivre et ses emplois maintenus, l'exonération est assurée.
- Si ces conditions sont réunies après cinq ans, l'imposition n'est que de 15% maximum. Dès sept ans, l'exonération est totale.
Vendre à un grand groupe si l'initiative est acceptée?
La fuite des capitaux vers nos voisins aura-t-elle lieu? Pour certains grands patrons, c'est certain: le milliardaire argovien Willy Michel, cinq milliards au compteur et à la tête de l'entreprise médicale Ypsomed, a assuré qu'en cas d'acceptation de l'initiative, il prendrait ses cliques, ses claques et son entreprise familiale pour aller s'implanter en Italie.
Mais pas besoin de peser cinq milliards pour penser quitter la Suisse. «Une personne qui a plus de 50 millions de francs est très mobile», estime Thierry Obrist. «En cas de risque d'imposition trop forte, un contribuable va préférer vendre son entreprise en Suisse et partir avec l'argent à l'étranger», laissant ainsi les employés sur le carreau. La vente à un grand groupe est alors privilégiée, ce qui peut fragiliser le tissu économique local.
Et le professeur d'avertir:
