Bientôt une obligation de servir pour les femmes? On fait le point
Le 30 novembre prochain, la Suisse votera sur l’initiative «Service citoyen». Ce texte veut étendre l’obligation de servir à toutes les personnes suisses, y compris les femmes. Ses auteurs défendent une mesure de cohésion nationale, ses détracteurs redoutent un surcoût et une charge supplémentaire pour les femmes.
Que demande le texte?
Toute personne avec un passeport suisse doit accomplir un «service en faveur de la collectivité et de l'environnement». L'obligation de servir s'appliquerait donc désormais aussi aux femmes.
Aujourd'hui, seuls les hommes majeurs sont obligés de rejoindre l'armée ou le service civil. Ou, en cas d'inaptitude, de servir dans la protection civile et/ou de s'acquitter d'une taxe d'exemption.
L'initiative ne parle pas des ressortissants étrangers. Indépendamment de la mise en œuvre concrète par le Parlement, une chose est sûre: si le projet est accepté, au moins 70 000 personnes par an devront accomplir un service, contre 35 000 aujourd'hui.
Que faire de tous ces nouveaux astreints?
Les initiants souhaitent que l'armée dispose d'effectifs suffisants et que les contingents théoriques soient atteints. Ils proposent, en outre, une astreinte «sous la forme d'un autre service de milice équivalent et reconnu par la loi». Leur idée: des missions dans le domaine de la prévention des catastrophes, de l'assistance ou de la sécurité alimentaire.
Il appartiendra au Parlement de définir les domaines d'activité précis. Sur la base de cette définition large, le Conseil fédéral part du principe qu'on peut aussi accomplir son service obligatoire dans un corps de sapeurs-pompiers volontaires, des fonctions politiques, des associations de samaritains ou dans les domaines actuels du service civil, tels que les écoles ou les soins.
Combien coûterait le «oui»?
Comme les militaires et les civilistes doivent interrompre leur carrière professionnelle, ils perçoivent une allocation pour perte de gain (APG). Celle-ci coûte aujourd'hui environ 800 millions par an et, si le nombre de personnes astreintes doublait, il faudrait multiplier ce chiffre par deux. Et, par là même, augmenter les cotisations salariales des employés et des employeurs, qui financent l'APG.
Dans le même temps, le gouvernement prévoit de débourser davantage pour l'assurance militaire (160 millions par an pour l'heure). Il table aussi sur des recettes supplémentaires via la taxe d'exemption (actuellement 170 millions par an). S'en acquittent les personnes déclarées inaptes lors du recrutement.
Le Conseil fédéral met également en garde contre le fait qu'en cas d'acceptation du projet, les entreprises devraient compenser l'absence des femmes et que la coordination des engagements supplémentaires coûterait à l'administration. Il n'est toutefois pas possible de chiffrer ces évolutions.
Quel est l'objectif des initiants?
A l'origine de cette proposition, on retrouve Noémie Roten, Genevoise et présidente de l'association Service-Citoyen. Elle s'est engagée dans l'armée en tant que conductrice de camion et trouve le système actuel discriminatoire, tant envers les hommes que les femmes. Selon elle, chacun doit pouvoir apporter sa contribution.
Avec le service citoyen pour tous, le comité d'initiative souhaite renforcer la solidarité et la cohésion sociale, dans un contexte d'individualisation croissante et de crise du système de milice. Parallèlement, la multiplication par deux du nombre de personnes astreintes devrait améliorer la sécurité, au sens large du terme. Cela ne concerne pas seulement les menaces militaires, mais aussi les risques, tels que la cybercriminalité ou le changement climatique.
Qui est pour, qui est contre?
Seul grand parti à soutenir le projet: les Vert'libéraux. Ils rallient à leurs côtés le PEV et des sections telles que les Jeunes du Centre.
Les Verts et les partis représentés au Conseil fédéral (PS, Centre, PLR, UDC) ont préféré rejeter l'initiative, tout comme le gouvernement fédéral.
Quels sont les arguments des opposants?
Trois arguments reviennent le plus régulièrement:
- L'argument sociopolitique: tant que les femmes assument la majeure partie du travail domestique non rémunéré, de l'éducation des enfants et des tâches ménagères, un service civil entraînerait une charge supplémentaire.
- L'argument économique: ni la Confédération, ni les employés, ni les employeurs ne pourraient en supporter les coûts.
- L'argument sécuritaire: avec l'extension aux femmes, le nombre de personnes astreintes dépasserait largement les objectifs fixés pour l'armée (25 000 nouvelles recrues par an) et la protection civile (5400). Dans le cadre du service citoyen, il faudrait donc prendre en charge des activités qui sont aujourd'hui couvertes par le marché libre du travail, ce qui pourrait mettre sous pression les professions du secteur des bas salaires en particulier.
Le manque de personnel dont se plaint l'armée
Le Conseil fédéral estime justement qu'il est nécessaire d'agir sur cette pénurie de personnel à cause des difficultés à recruter. Il souhaite toutefois aborder le problème différemment. A court terme, il s'agit avant tout de rendre le service civil moins attrayant: le Parlement a adopté six mesures de l'exécutif prévoyant des obligations de service plus longues pour les «déserteurs».
En outre, le gouvernement fédéral souhaite rendre la journée d'orientation obligatoire pour les femmes. Une consultation sera ouverte d'ici fin 2025.
A long terme, le Conseil fédéral prévoit de réformer en profondeur le système du service obligatoire. Il propose deux variantes: d'une part, le modèle «de sécurité obligatoire», dans lequel seuls les hommes suisses seraient encore appelés sous les drapeaux. Quant à la protection civile et au service civil, ils fusionneraient.
D'autre part, le «service obligatoire axé sur les besoins», qui s'appliquerait à toutes et tous. Avec lui, les besoins en effectifs de l'armée ou de la protection civile serviraient à déterminer la quantité de personnes qui devraient effectuer leur service. Le service civil serait maintenu. On devrait définir la suite de la procédure d'ici 2027.
(Traduit et adapté par Valentine Zenker)